7ème conférence ministérielle, négociations OMC
Lorsqu'à Hongkong en 2005, les ministres des Etats membres établissaient qu'ils devaient se rencontrer tous les deux ans pour achever le cycle de Doha, ils ne faisaient que réaffirmer ce qui se trouve dans les statuts de l’OMC. Néanmoins, il aura fallu attendre quatre ans pour une nouvelle convocation. En 2009, et quelques crises plus tard, les discussions porteront officiellement sur "l'OMC, le système de commerce multilatéral et l'actuelle situation économique globale". Plus spécialement, les délégués sont appelés à travailler sur la "révision des activités OMC, incluant le programme de travail du cycle de Doha", et, le deuxième jour sur "la contribution de l'OMC pour retrouver la croissance et le développement".
En cette première journée de discussions, les ministres pourraient débattre des leçons de la crise alimentaire, ou débattre de savoir si la libéralisation du commerce, et celle des services financiers est la meilleure stratégie à suivre actuellement, ou bien encore si la généralisation des agrocarburants pourraient constituer le meilleur moyen de faire face aux changements climatiques : ce ne sont pas les sujets qui manquent. Mais ils ne seront pas abordés. Une proposition de modification des modes de fonctionnement de l'OMC a bien été formulée par l'Inde le 16 octobre 2009, elle n'a pas soulevé l’enthousiasme. et, en l'absence d'autre proposition, cette question devrait rester formelle.
Par ailleurs, les résultats des négociations intensives de ces dernières semaines, menées à l'instigation du DG Lamy n'ont pas abouti non plus à grand chose. Une proposition des Etats-Unis portant sur l'accroissement d'échange d'informations sur les services d'assurance-vie, une du Pakistan sur la banque en ligne et le commerce en ligne : rien de très consistant, et aucun consensus.
L'argentine, l'Equateur, l'Afrique du Sud et l'Inde ont en revanche fait une proposition plus conséquente, en proposant que soient examinés les liens entre le commerce des services financiers et la crise financière et économique actuelle. Il s'agirait d'un travail en deux temps : d'abord, établissement des mesures qui, dans l'AGCS, relèvent des services financiers et touchent aux politiques de relances gouvernementales, compilation les études récentes sur la question et diffusion auprès des Etats membres. Ensuite, le secrétariat de l'OMC proposerait son analyse visant à établir en quoi les mesures de relances nationales ont eu des conséquences sur le commerce des services financiers.
Inutile de préciser que cette dernière idée n'a pas fait l'unanimité. On l’aura compris, ce n’est pas pour négocier que les ministres se rencontrent.
D'ailleurs, le DG Lamy l'a indique lors de sa conférence de presse juste avant la (longue) cérémonie d'ouverture : « il ne s'agit pas d'une réunion de négociations », mais « d’une rencontre portant sur tous les sujets touchant à l'OMC ». Evidemment, la question se pose de sa nécessité : au fil des discussions, il apparaît clairement que personne n'attend d'avancée, sauf, au mieux, la décision fixant les modalités de continuer les discussions. Dès lors, la rumeur fait son office : un ambassadeur africain travaillant pour un réseau interétatique d'informations sur le commerce en Afrique estime que la situation actuelle, parce qu’elle décourage Etats et observateurs, et qui rend encore plus difficiles les mobilisations des sociétés civiles, estime que ce vide est idéal pour faire passer clandestinement un accord concluant Doha, non cette année mais l'année prochaine.
Dans ce contexte, la question se pose aussi pour les organisations : pourquoi s’échiner à être présentes, à mobiliser des forces et des moyens pour contrer une organisation à ce point incapable de prendre des décisions ? Les organisations doivent considérer qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours trop tôt, et de ce point de vue, les mobilisations ont eu lieu. Samedi, les manifestations se sont terminées dans une odeur poivrée de gaz lacrymogènes après que des jeunes gens masqués aient cassé des vitrines sous les yeux de policiers immobiles. Depuis, la télévision suisse a relayé condamnations diverses et soupçons de manipulation. Dimanche, une rencontre a réuni des mouvements de nombreux endroits du monde (dont le site d'Attac à rendu-compte). Aujourd'hui, une toute petite manifestation de pêcheurs a réussi à bloquer les accès de l'OMC. Mais elle a vite été poussée sur le côté et n'a pu empêcher le cortège de limousines noires de ministres en route pour la cérémonie d'ouverture. Une manifestation symbolique a eu lieu à l'intérieur du bâtiment de réunion, à l'instigation des membres d'OWINFS. Quelques heures auparavant, une visite de la Genève des banques et des autres criminels a eu lieu, et s’est soldée par deux arrestations.
Mais, s’il ne se passe rien de spectaculaire, quelques positionnement d’Etats dans les réunions bilatérales peuvent se révélées intéressantes. Ainsi, l’Argentine a pu affirmer clairement qu’elle refusait de modérer sa position sur NAMA (accepter une réduction importante des tarifs douaniers pour les produits non-agricoles), elle refuse aussi que les services financiers soient négociés.
D’autres positions sont plus pro-libérales, certaines pouvant même sembler étonnantes pour l’observateur non averti : ainsi, le Brésil affirme ne pas vouloir donner plus d’ouverture au commerce, mais réclame la fin du cycle de Doha, tout en réclamant le DF-QF (duty free-quota-free) pour 80 pourcents des lignes tarifaires pour les pays les moins développés. Plus étonnant, l’Egypte, représentant en l’occurrence les Etats africains, se prononce pour la souveraineté alimentaire, et réclame dans la foulée plus de libéralisation du commerce des produits agricoles comme voie royale pour y parvenir. Le représentant des ACP réclame avec force la fin du cycle pour 2010. Moins surprenante, la position des Etats-Unis qui veut plus d’ouverture des marchés et d’opportunités pour les affaires. La Suisse réclame carrément la reprise des « questions de Singapour », abandonnées pourtant depuis une réunion tenue à cet endroit au début des années 2000. L’Inde répète que la mise en place de mécanismes de sauvegarde spéciaux, le système DF-QF, la non-érosion des préférences commerciales sont des objectifs de développement, tout en s’inquiétant que le « protectionnisme vert » menace l’économie mondiale.
Mais, c’est comme souvent la position de l’Union européenne qui mérite une attention particulière : répétant que l’élévation du protectionnisme serait la pire des réponses à la crise, elle estime celle-ci pourra être résolue par le renforcement des droits de protection intellectuelle, seule susceptible de permettre la libéralisation des biens et services environnemtaux (les technologies « vertes »), ce qui permettrait les pays en voie développement d’y accéder, ce qui est bon pour le commerce, pour le développement, et, au passage, pour les problèmes climatiques. Il est vrai que dans une récente rencontre organisée dans le cadre de « le Dialogue de la Société Civile », il avait été précisé que concernant les pays les moins développés qui ne seraient pas solvables pour payer ces technologies pourraient d’attendre que celles des technologies encore couvertes par un brevet et inexploitées, tombent dans le domaine public pour les utiliser.
Une autre information concernant l’UE : elle a proposé aux Etats-membres sa propre position de négociations …vendredi dernier seulement
Une actualité a fait le tour de la rencontre : alors que le représentant des Etats-Unis donnait son discours appelant à une conclusion rapide du cycle de Doha, dix sénateurs de ce pays déposaient, ce même jour, une proposition législative décidant de la révision totale du cycle en cours. L’administration américaine actuelle ne donne aucun signe de sa volonté d’aboutir, et le voudrait-elle que n’ayant pas obtenu le « fast-track » du Congrès (procédure accélérée de ratification des accords commerciaux), elle ne le pourraient. La journée se termine avec le sentiment que cette réunion est une réunion pour rien.
Frédéric VIALE