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Sauver les banques jusqu’à quand ?

logo-30.gifQuoique le texte qui suit ait pour propos de développer un argument indépendant (relativement), il est difficile de ne rien dire du plan « de stabilisation » que viennent d'annoncer l'Union européenne et le FMI, à propos duquel se pose immanquablement la question de savoir ce qu'il va stabiliser et pour combien de temps...

Le « plan de stabilisation », ou les risques du bootstrapping

Le paquet d'ensemble est en trois morceaux : 60 milliards d'euros de concours de l'Union directement mobilisables, 250 milliards du même métal mais par le FMI, et le « gros » morceau d'un fond de garantie de 440 milliards. Disons le clairement, les 60 milliards de l'Union sont ridicules rapportés au problème potentiel des défauts souverains dans la zone euro - mais ils sont proportionnés au pouvoir fiscal de l'Union (en fait aux contributions nationales qui abondent son budget)... Les 250 milliards du FMI sont déjà plus substantiels et pourtant, même ajoutés aux 60 précédents, ils ne font toujours pas l'affaire - un plan de sauvetage de l'Espagne seule a été estimé par Natixis à un ordre de grandeur de 400-500 milliards d'euros, et l'on ne parle encore ni de l'Italie, ni de l'Irlande, etc. On doit donc conclure que, une crise de contagion attaquerait-elle simultanément plusieurs dettes souveraines, c'est le fond de garantie qui reprendrait l'essentiel des tensions.

C'est bien là que le bât blesse car en son fond, le dispositif aboutit à faire garantir des dettes suspectes par des finances publiques suspectes... Bien sûr l'idée joue de l'hétérogénéité des situations des finances publiques européennes en faisant garantir les moins bonnes par les moins mauvaises. Il reste cependant un effet de circularité qui deviendrait manifeste lors d'une contagion tant soit peu étendue qui verrait s'inverser la proportion des (jugées) moins bonnes et des (jugées) moins mauvaises, et les premières, de minoritaires, devenir majoritaires. C'est bien là, à mot commun de « garantie », toute la différence entre le plan d'aujourd'hui et le plan de garantie des banques privées mis en œuvre par les États à l'automne 2008, alors que les États en question avaient encore des dettes publiques modérées et paraissaient en situation d'extériorité et de solidité par rapport au secteur bancaire. Dans le plan de stabilisation présent, ce sont les États qui se garantissent mutuellement au moment même où leurs solvabilités sont mises en doute - et destruction de la double condition d'extériorité et de solidité. Rien ne permet d'exclure le scénario au terme duquel - dans six mois, douze, dix-huit ? - l'opinion financière, aujourd'hui enivrée par les centaines de milliards gracieusement mis à sa disposition, prendrait pleinement conscience du caractère de bootstrapping [] de la manœuvre. Si la croyance financière effectue ce nouveau déplacement, l'ensemble du dispositif connaîtra la ruine et tout sera à refaire. Il faut donc souhaiter très fort que la croissance revienne au plus vite et permette d'absorber toutes ces tensions en amorçant gentiment l'ajustement des ratios de solvabilité souverains dans les meilleurs délais.

Le seul ancrage robuste du plan de sauvetage réside dans la quatrième composante : l'adoption par la BCE d'une stratégie de Quantitative Easing [] qu'elle avait proclamée jusqu'ici inenvisageable - miracles de la crise extrême qui rendent possibles les choses réputées impossibles, attestant par là même du caractère profondément politique des partages d'impossibilité réputés objectivement techniques. Si la métempsycose existait, on demanderait volontiers à revenir mouche pour se poser innocemment sur un mur de la salle du conseil de la BCE - où les vitres pourraient bientôt trembler. Peut-être saura-t-on bientôt ce qu'il a fallu de rapport de force et de torsion de bras pour imposer aux représentants allemands (et peut-être à d'autres) une mesure décisive mais qu'ils réprouvent absolument et ont tout fait pour contrecarrer.

Une fois de plus victime de la rigidité générale de toute la construction européenne telle qu'elle la contraint à édicter des règles réputées infrangibles pour devoir ensuite les violer, la BCE a pris l'habitude de rechercher un visage d'unanimité, supposé gage de crédibilité, qui tolère alors très mal les expressions publiques de dissensus vécues comme fractures et comme drames. C'est dire que les déchirements dogmatiques qui se sont sans doute déjà emparés de la banque centrale, et ne vont qu'aller s'aggravant, risquent de faire vilain. Spécialement si l'on considère que, une crise de contagion souveraine viendrait-elle à se produire, la BCE, comme composante la plus fiable du plan d'ensemble, se retrouverait en toute première ligne - et MM. Stark et Weber d'assister, furieux, à l'emballement (nécessaire) de la planche à billets. Le passage auQuantitative Easing est donc le seul ancrage techniquement robuste. Mais il est peut-être le plus politiquement fragile. On peut donc anticiper que l'histoire est loin d'être close et d'ores et déjà prendre quelques rendez vous

La suite de ce long article sur le blog de Frédéric Lordon : http://blog.mondediplo.net/2010-05-11-Sauver-les-banques-jusqu-a-quand

Du même auteur, on lira un article (long également) sur la crise ("Crise, la croisée des chemins") :http://blog.mondediplo.net/2010-05-07-Crise-la-croisee-des-chemins.

En voici l'introduction :

Il y aurait matière à faire un sort à tous les ahuris qui depuis l’été 2007 ne loupent pas une occasion de se féliciter que « le pire est derrière nous le plus dur est passé la crise est terminée ». On rappellera qu’ils n’en sont jamais qu’à leur troisième tour de piste (automne 2007, printemps 2008, fin 2009) et que, vaillants comme on les connaît, on peut être tout à fait certains, le point chaud grec viendrait-il à relaxer, qu’ils ne nous décevraient pas pour une petite quatrième. Stupéfiante comme elle devient, la situation ne laisse cependant pas trop le loisir de s’appesantir sur ce genre de chose – et puis le compte-rendu de la cécité réjouie est devenu une entreprise sans espoir.

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