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Retraite : Y a-t-il urgence à repenser le travail ?

Bernard Friot, économiste et sociologue Danièle Linhart, sociologue, chercheuse au CNRS. Dans quelle mesure la mobilisation sur la réforme des retraites a-t-elle fait ressurgir la crise du travail ?

Bernard Friot. Le mouvement social a montré que la souffrance au travail était si grande que prolonger encore de deux ans la durée de travail devenait vraiment insupportable. Mais en même temps, la question du travail n’a pas été suffisamment prise en compte puisque la retraite est apparue comme ce qui nous libère du travail. C’est une vision de la retraite fondée sur la confusion entre travail et emploi. Quand on interroge les salariés sur leur travail, ils répondent en général qu’ils l’aiment, mais que ce qu’ils font ne correspond plus à leur travail. Ces réponses montrent que ce n’est pas le travail en tant que tel qui est source de souffrance mais c’est ce que l’emploi en fait. Je regrette donc que le principal message porté par le mouvement social ait été que la retraite nous libérait du travail. La mobilisation a exprimé l’exaspération d’avoir deux ans de plus de travail, alors qu’en fait il s’agit de deux ans de plus dans l’emploi, ce qui n’est pas la même chose. De ce fait, l’emploi comme source du malheur au travail n’a pas du tout été abordé.

 Cette question n’a pas été prise en compte par les syndicats et les partis de gauche ?

Bernard Friot. Les syndicats se sont centrés sur la pénibilité au travail pour justifier une réduction de la durée de vie dans l’emploi, cela montre bien que la question de la suppression de l’emploi n’a pas été posée. D’ailleurs, les retraités ne sont pas perçus comme des personnes enfin payées à vie en étant libérées de l’emploi, mais comme d’anciens salariés libérés du travail. Le salaire à vie comme substitut de l’emploi n’a pas été revendiqué. Il faut en finir avec le marché du travail, et cette question n’a pas été posée.

 Danièle Linhart. La mobilisation contre cette réforme des retraites a été forte parce que le travail est devenu insupportable et l’idée même de prolonger sa durée est apparue inacceptable. Certes, le travail a toujours été difficile, pénible, mais, il y a vingt ans, l’idée de pouvoir contester les règles de la mise au travail ne paraissait pas légitime pour les salariés. Dans les années 1980, la France était perçue, comparativement à ses voisins, comme un pays vivant sur ses acquis sociaux et les Français comme des travailleurs un peu paresseux. Il y avait l’idée qu’en France, on n’avait pas le droit de se plaindre, et pourtant chacun vivait des conditions de travail extrêmement difficiles mais il les vivait sur un mode très individuel avec le sentiment que c’était peut-être sa faute, la preuve de son incapacité à s’adapter. Les salariés intériorisaient leur souffrance et craignaient d’en parler de peur que cela montre qu’ils n’étaient pas à la hauteur. Mais aujourd’hui, à l’occasion de cet enjeu commun, qui repousse encore plus loin l’âge de départ à la retraite, les gens se sont autorisés à parler de leur travail. Dans les cortèges on pouvait lire « Métro, boulot, tombeau ! », « Mourir au travail, plutôt crever ! » etc. Reste un décalage entre ce qu’exprime la base et ce que les partis politiques et les syndicats sont capables d’en faire. Le même écart s’était produit dans les années 1967-1968 : alors que les salariés revendiquaient une aspiration à vivre autrement au travail – dans les manifestations on entendait « Métro, boulot, dodo », mais pas encore « Tombeau »… –, les syndicats avaient réussi à négocier 30 % d’augmentation pour les salaires les plus bas. Il y a toujours eu cette difficulté pour les syndicats et les partis politiques à porter la négociation sur quelque chose d’aussi difficile à objectiver que le mal-être, la souffrance au travail et la volonté de liberté et d’autonomie dans le travail.

La suite de ce Face-à-face réalisé par 
Anna Musso, sur le site de l'Humanité : http://www.humanite.fr/19_11_2010-retraite-y-t-il-urgence-à-repenser-le-travail-face-à-face-458150

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