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Nicolas Sarkozy et les 4 618 600 chômeurs

Bravo, les artistes de la communication gouvernementale qui ont rendu publics les chiffres du chômage le 24 décembre ! Qu'il soit à l'Elysée, à Matignon ou au ministère du travail, l'auteur de cette brillante idée mérite un coup de chapeau.

Au moment où bon nombre de Français enfournaient dinde ou chapon, débouchaient une bonne bouteille et empaquetaient fébrilement les derniers cadeaux, nul doute qu'ils auront eu l'oreille moins attentive à l'évolution du marché de l'emploi.
Nul doute, également, que la publication de ces chiffres en toute fin de mois, comme d'habitude, aurait désagréablement parasité les voeux de fin d'année du président de la République. Mais cette petite habileté masque mal un cruel aveu d'impuissance : contrairement aux discours récurrents de nos éminences, en effet, le nombre des sans-emploi continue à augmenter.
Oublions les engagements de campagne de Nicolas Sarkozy, en 2007 : il se faisait fort de ramener le chômage à 5 % de la population active. La crise est passée par là. Dont acte. Mais beaucoup plus récemment, le 25 janvier à la télévision, il se risquait bravement à des prévisions optimistes : "Le chômage va baisser dans les semaines et les mois qui viennent." Fin août encore, sur la base de statistiques ponctuelles et partielles, la ministre de l'économie, Christine Lagarde, se réjouissait des perspectives de "stabilisation".Nous en sommes loin, comme en témoignent les données publiées ce 24 décembre par le ministère du travail. Elles sont aisément consultables sur son site Internet. A fin novembre, l'on comptait 2 698 100 demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, c'est-à-dire des personnes sans emploi tenues de faire des actes positifs de recherche d'un travail. Ce chiffre a progressé de 2 % depuis novembre 2009, après avoir flirté avec la barre des 2 millions au printemps 2008.
Il s'y ajoute 1 321 000 personnes classées en catégories B et C, qui ont une "activité réduite" (plus ou moins 78 heures par mois) mais recherchent un emploi et doivent en faire la preuve. Soit un total de 4 019 100 demandeurs d'emploi de catégories A, B et C, en hausse de 5 % depuis un an. Parmi eux, signalons en passant l'explosion des chômeurs "seniors" de plus de 50 ans (750 000, +16 % en un an), ainsi que des chômeurs depuis un an ou plus (1,5 million, + 21,5 %) ; et, pour être honnête, la baisse de 4 % des jeunes de moins de 25 ans en quête d'emploi.
En outre, 599 500 personnes (+ 16 % en un an) relèvent des catégories D et E : elles sont inscrites à Pôle emploi mais, pour diverses raisons (maladie, formation, contrat aidé, etc.), ne sont pas tenues de faire des actes positifs de recherche d'emploi. Fin novembre, l'ensemble des inscrits à Pôle emploi s'établit donc à 4 618 600 personnes, en hausse de 6,6 % en un an. Pour mémoire, la "population active", ayant ou non un emploi, est actuellement de 28,2 millions de personnes.
Encore ces chiffres ne concernent-ils que la France métropolitaine : pour être complet, il convient de ne pas oublier les 253 100 demandeurs d'emploi des départements d'outre-mer, qui ne sont mentionnés par le ministère que du bout des lèvres. Il est vrai que si on les ajoute à l'addition, on approche dangereusement de la barre des 5 millions.
Celle-ci est évidemment dépassée si l'on tient compte des chômeurs "invisibles", qui ne sont pas ou plus inscrits à Pôle emploi, souvent découragés par des radiations pour raisons administratives ou "autres" qui sont tout sauf marginales (plus de 100 000 durant le mois de novembre).
Désolé d'infliger au lecteur cette avalanche statistique. Trop souvent occultée ou presque banalisée tant elle paraît inéluctable, elle en dit malheureusement beaucoup plus que bien des commentaires sur la réalité du pays et sur la défiance générale à l'égard des gouvernants.
Selon toutes les enquêtes récentes, en effet, les Français placent largement en tête de leurs préoccupations la lutte contre le chômage et l'amélioration du pouvoir d'achat. Sur le premier point, on vient de le constater, les belles paroles présidentielles ou ministérielles sont tout sauf convaincantes et les perspectives guère encourageantes.
Sur le second point, il suffit de se reporter au dernier - et ultime - rapport du Médiateur de la République, avant sa disparition au profit du Défenseur des droits. S'inquiétant des fragilités de la société française, de l'angoisse croissante du déclassement ou des ravages du surendettement, Jean-Paul Delevoye, qui est tout sauf un gauchiste mais plutôt ce qu'on appelait autrefois un gaulliste social, déclarait sans ambages : "J'estime à 15 millions le nombre de personnes pour lesquelles les fins de mois se jouent à 50 ou 100 euros près", soit un bon tiers des Français adultes.
Dans ces conditions, et même si ce n'est pas très glorieux, on comprend que le président de la République ait préféré glisser les mauvaises nouvelles du chômage entre le sapin et les agapes de Noël, tant elles témoignent de son impuissance.
D'autant que, pour le reste, son bilan 2 010 n'est pas reluisant : une déroute de son camp aux élections régionales du printemps ; un gouvernement plombé, à l'été, par les sévères conflits d'intérêts de l'affaire Woerth-Bettencourt ; d'inquiétants dérapages estivaux sur les Roms ; une réforme des retraites, à l'automne, qui ne démontre sa détermination qu'au prix d'une amertume et d'un ressentiment durables dans le pays ; un remaniement qui a cruellement mis en lumière l'affaiblissement de son autorité, face au premier ministre et à sa majorité ; enfin, ces derniers temps, la résurgence vindicative d'un Front national qu'il croyait avoir neutralisé il y a trois ans.
Nicolas Sarkozy n'a jamais douté de pouvoir renverser des montagnes. Celles qui l'attendent en 2011-2012 paraissent pourtant de plus en plus infranchissables. Reste à la gauche - aux socialistes en particulier - à démontrer qu'elle ferait mieux, ce dont elle n'a toujours pas convaincu les Français.

Gérard Courtois, Le Monde du 28 décembre 2010

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