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Joseph Stiglitz : « Au lieu de régler nos problèmes, nous les aggravons »

Dans un récent article que vous avez publié dans le New York Post, vous pointez la triple responsabilité des banquiers: « Les banquiers ont d'abord utilisé leur argent et leur influence politique pour acheter la dérégulation, ensuite pour obtenir un sauvetage massif et, enfin, cette année (2010) pour empêcher une re-régulation efficace. »

 La critique des banquiers peut aller encore plus loin, dans deux directions. D'abord en soulignant que nous les avons sauvés dans l'attente qu'en retour ils assument de nouveau un rôle social: prêter, en particulier prêter à des entreprises, leur permettant de créer des emplois. Ils ne l'ont pas fait. Ensuite, en pointant qu'ils alimentent des problèmes sociaux plus profonds. L'Amérique connaît de nombreuses inégalités mais il y avait toujours l'ambition que ceux en bas de l'échelle puissent faire mieux. Même si cette ambition était en partie faite de simple espoir. Mais ce qu'ont fait ces banquiers, c'est considérer ces gens qui avaient acheté pour la première fois une maison en se demandant comment ils pourraient se les payer, leur prendre tellement d'argent qu'ils seraient amenés à perdre leurs maisons. Ils ne leur ont pas pris brutalement mais ils se sont attaqués aux plus faibles, aux moins éduqués de notre société. Et pas seulement à travers les prêts immobiliers, mais aussi avec les cartes de crédits, par tout un ensemble de trucs atroces.

Nous avons essayé d'arrêter les banquiers mais à chaque fois ils ont trouvé les moyens de contourner les règles. Ils ne font preuve d'aucune responsabilité morale, et lorsque ceux qui réussissent manquent à ce point de cette responsabilité, cela se répand dans l'ensemble de la société. Nous avons donc un sérieux problème de leadership économique.

 

Diriez-vous qu'au début de la crise, le pouvoir politique a laissé passer l'opportunité d'une vraie réforme, plus profonde, du système bancaire ?

 C'est tout à fait ça. Il y a eu un moment d'espoir. Après la crise, le monde entier s'est retrouvé sur des politiques keynésiennes, les pays ont reconnu que l'idée selon laquelle les marchés s'auto-corrigeaient est une idée absurde. Ils ont affirmé le besoin d'un nouveau capitalisme. Malheureusement, dès que l'incendie fut maîtrisé, nous avons assisté au retour de l'influence politique des banques. Un combat a alors eu lieu entre d'un côté quelques banques et de l'autre 350 millions d'Américains. C'est cela qui a permis d'obtenir une législation de régulation nouvelle mais qui comportait tellement d'exceptions et d'exemptions qu'elle ne s'est pas avérée très efficace. Le moment de refondation du capitalisme est donc passé. C'est vraiment triste puisqu'à tous les niveaux les problèmes sont toujours là.

 

Vous pensez que la responsabilité de l'administration Obama est considérable ?

 Je le pense. Nous avons traversé l'un de ces moments uniques lors desquels on peut changer la direction de la société et faire sens de la société. Un moment rooseveltien, pensaient beaucoup – au sens des deux Roosevelt, Teddy qui inaugura l'ère progressiste et FDR qui a lancé le New Deal. Mais au final les choix furent trop conservateurs. Ce fut : faisons le minimum pour que ça passe. Ce fut la preuve d'un profond conservatisme de cette administration que d'aller chercher des gens qui avaient contribué à créer le problème. C'est un argument que j'utilise dans mon essai, Le Triomphe de la cupidité : ces gens avaient un intérêt à sous-estimer le problème, ils ne pouvaient pas dire qu'ils avaient produit le plus grand désastre depuis la Grande Crise. Ils avaient donc intérêt à minimiser l'étendue du problème, à camoufler les choses. Et malheureusement Obama les a écoutés, ils les a choisis.

L'une des raisons qui conduisent une entreprise qui connaît des difficultés à changer de président, c'est de chercher un regard neuf, parce qu'on sait que ceux qui ont créé ces problèmes vont tenter de les cacher et de les sous-estimer. Ce n'est pas une question de morale, simplement celle de la nécessité d'un regard neuf.

Extraits d'un entretien de Joseph Stiglitz sur le site de Médiapart : http://www.mediapart.fr/journal/economie/070111/joseph-stiglitz-au-lieu-de-regler-nos-problemes-nous-les-aggravons 

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