Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

A Fukushima, l'implosion d'un système énergétique

1583694427.jpgAprès l'éruption du volcan islandais qui avait un temps cloué au sol une des plus éclatantes inventions humaines, la maîtrise du ciel, la catastrophe naturelle que subit le Japon rappelle la fragilité des affaires humaines et leur dépendance par rapport à des éléments non prévisibles et non maîtrisables, ici un tremblement de terre et un tsunami. Face à ces événements, les sociétés ont à se protéger, à s'acclimater, en dressant aussi bien des digues matérielles que des barrières philosophiques et culturelles. Le peuple japonais a appris à vivre avec la possibilité de ces catastrophes, il a mis en œuvre des moyens matériels et une organisation sociale qui limitent l'ampleur de la catastrophe humaine. Les médias ont relevé inlassablement le "fatalisme" du peuple japonais, sans voir que de tels événements ridiculisent le volontarisme et qu'au lieu de fatalisme, c'est peut-être la conscience plus aiguë de la vulnérabilité des sociétés qui s'exprime.

Mais, alors que le Japon a élevé ces constructions matérielles pour se protéger, il a aussi cédé à la croyance en l'infinie puissance de la technique, à la prévisibilité des objets fabriqués par les humains, à l'infinie rationalité des choix humains, au point d'installer des centrales nucléaires sur des failles sismiques. Ce qui paraît évident une fois la catastrophe arrivée était considéré comme improbable dans le calcul des risques. Alors, comme pour la catastrophe de Tchernobyl, la chasse aux responsables extérieurs est ouverte.

En première ligne, l'entreprise Tepco. Elle a accumulé des défaillances et négligences, et ceci d'autant plus qu'elle est une entreprise privée, soumise aux exigences de rentabilité à court terme. C'est l'argument majeur de défense du nucléaire public, qui serait seul à même de permettre le risque zéro ou de s'en approcher. Au-delà de la catastrophe de Tchernobyl pour laquelle l'incurie de l'Etat et du système bureaucratique ont été mis en cause, parlons de l'atome français, construit, promu et imposé par l'Etat et une entreprise nationale, dans la plus grande opacité. La bureaucratie n'est pas l'apanage des ex-systèmes "socialistes" : elle est consubstantielle au système nucléaire. Par ailleurs, aucun Etat ne peut être aux commandes de la nature ni prévoir l'enchaînement des processus conduisant à l'emballement nucléaire. La centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) a connu un accident de niveau 4 en 1980, survenu après un précédent en 1969. Une part du réacteur public est entré en fusion et des rejets radioactifs ont été trouvés sur plus de 200 km, jusqu'à l'estuaire de la Loire. A-t-on alors entendu parler d'une étude épidémiologique pour mesurer les conséquences de ces rejets ? Non. Désigner des responsables n'a de sens que si nous comprenons que l'entreprise Tepco est au nucléaire ce que Kerviel est à la crise financière. La contamination longue empêchera tout retour à la "normale" malgré les prévisions des économistes de service, déjà réjouis des possibilités de croissance pour la reconstruction.

En deuxième ligne, l'exposition spécifique du Japon aux catastrophes naturelles majeures. Retenons simplement que la perte de l'alimentation électrique, ici suite au tsunami, permettant le refroidissement ou bien la panne des diesels de secours peuvent se produire pour d'autres raisons, moins dramatiques. La centrale de Blaye a frôlé l'accident en 1999 après une forte tempête. Sans parler de celles de Fessenheim et du Tricastin, situées sur des zones sismiques.

En troisième lieu, "on ne peut sortir du nucléaire tout de suite" ! Certes. Mais ce que nous pouvons faire tout de suite, c'est prendre la décision d'en sortir en l'accompagnant de mesures immédiates pour assurer la transition, la sûreté pour les citoyens et pour les personnels du nucléaire. Il s'agit dans un premier temps de l'arrêt des nouveaux projets ou des projets en cours, de la fermeture des centrales les plus anciennes (au lieu de leur prolongement prévu). Ces mesures doivent s'accompagner d'un plan drastique d'économie d'énergie accompagné d'un développement des renouvelables.

Ce que manifeste la catastrophe japonaise, c'est l'implosion d'un système énergétique global, conçu pour alimenter un processus de croissance infini, une accumulation infinie de capital. L'emballement des réacteurs et particules est à l'image de l'emballement d'un modèle qui ne peut lui-même être refroidi de l'intérieur et qui exige une grande bifurcation.

Geneviève Azam, maître de conférence en économie, chercheuse à l'université Toulouse-II et membre d'Attac France ("Point de vue", Le Monde du 23 mars)

Les commentaires sont fermés.