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Articles - Page 12

  • Rétablissons la progressivité de l'impôt (Tribune dans Le Monde du 01/12/2013)

    Augmenter la TVA, une mesure inéquitable

    Le premier ministre vient d'annoncer une " remise à plat " de la fiscalité. Une réforme serait donc sur les rails. Elle est, a priori, la bienvenue, car notre fiscalité est à la fois injuste et inefficace et mine le consentement à l'impôt, et ce depuis des décennies. En effet, nous avons assisté ces dernières années à une véritable contre-révolution fiscale au bénéfice des ménages les plus riches et des entreprises, en particulier les plus grandes.

    La modification du barème et la diminution du nombre de tranches de l'impôt sur le revenu (IR) l'ont rendu de moins en moins progressif. Le taux marginal d'imposition sur le revenu était à 65 % en 1986, il était passé à 40 % en 2010. L'instauration d'une tranche supplémentaire à 45 % par le gouvernement actuel est loin d'établir la progressivité souhaitable.

    Le taux de l'impôt sur les sociétés n'a cessé de baisser pour arriver à un niveau théorique de 33 %. Tout cela est théorique, car, dans la pratique, le taux implicite, c'est-à-dire l'imposition réelle des entreprises, est bien plus faible du fait de l'existence de nombreuses dérogations. Il diminue ainsi au fur à mesure que la taille de l'entreprise croît : ainsi le taux d'imposition des entreprises du CAC 40 est en moyenne de 8 % (certaines ne payant même aucun impôt) contre 28 % pour les PME.

    Au final, en 2010, les pertes de recettes fiscales dues à la multiplication des niches fiscales s'élevaient, suivant le Conseil des prélèvements obligatoires, à environ 150 milliards d'euros. Tout cela a abouti à un appauvrissement relatif de l'Etat dont les recettes fiscales ont perdu l'équivalent de 6 points de produit intérieur brut entre le début des années 1980 et 2010. Certes, décentralisation oblige, les impôts locaux ont gagné 1,5 point de PIB entre le milieu des années 1980 et 2010. Toutefois, cette augmentation, qui pèse quasiment sur tous les ménages, est donc loin d'avoir compensé la baisse des recettes fiscales de l'Etat.

    Les mesures prises par le gouvernement actuel renforcent encore l'injustice fiscale. Entre l'augmentation de la TVA pour financer le crédit impôt compétitivité emploi, cadeau sans contrepartie aux entreprises (10 milliards en 2014, et le double à terme) et les nombreux impôts nouveaux qui vont frapper les classes modestes, l'année 2014 verra un transfert financier au détriment des ménages (11 milliards d'euros d'augmentation) et au bénéfice des entreprises (12 milliards d'euros de baisse d'impôts), alors même que les dividendes versés aux actionnaires ont atteint leur niveau le plus haut depuis la seconde guerre mondiale. La remise à plat promise par le premier ministre ne va cependant pas jusqu'à remettre en cause ces mesures.

    Le débat semble se focaliser sur une éventuelle fusion entre la contribution sociale généralisée (CSG) et l'impôt sur le revenu. Alors que celui-ci contribue au budget de l'Etat, la CSG est un impôt affecté au financement de la protection sociale. Comment préservera-t-on cette affectation en cas de fusion avec l'impôt sur le revenu ? Aucune réponse satisfaisante n'a pour l'instant été apportée à cette question.

    Mais surtout, le principe d'une fusion n'est en soi aucunement porteur d'une plus grande justice fiscale. Ainsi, dans un rapport de 2005, le Conseil d'analyse économique propose une fusion articulée autour de trois tranches, ce qui réduirait encore la progressivité de l'impôt ! Les ultralibéraux, de leur côté, y voient l'occasion d'en finir avec toute progressivité de l'impôt en instaurant enfin un impôt proportionnel (flat tax).

    Avant de discuter d'une fusion entre la contribution sociale généralisée et l'impôt sur le revenu, il faut donc se mettre d'accord sur les principes qui doivent guider la réforme fiscale. Le premier concerne la question des prélèvements obligatoires. Le patronat et la droite militent pour leur baisse, et le premier ministre a indiqué vouloir une réforme à prélèvements constants. Or le niveau des prélèvements obligatoires indique simplement ce que la société décide à un moment donné de socialiser.

    Si, comme aux Etats-Unis, nous décidions que la santé doit être essentiellement privatisée, le niveau des prélèvements obligatoires baisserait fortement, mais cela ne signifierait pas que les dépenses de santé auraient baissé. Elles seraient simplement passées dans le budget privé des ménages et, de plus, augmenteraient par rapport à aujourd'hui.

    Crier systématiquement haro sur le niveau de prélèvements est donc une faute politique. C'est adopter le présupposé libéral qui fait, par définition, de la dépense publique une mauvaise chose. Une augmentation des prélèvements sociaux et fiscaux peut s'avérer nécessaire si elle contribue à l'efficacité économique, à la justice sociale et aux nécessités de la transition écologique.

    Le second principe concerne la justice fiscale. Il faut d'abord rétablir la progressivité de l'ensemble des prélèvements fiscaux : réduire le poids relatif des impôts indirects - TVA et taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ; augmenter la part des impôts progressifs (l'impôt de solidarité sur la fortune et l'impôt sur le revenu) ; réviser la fiscalité locale selon les mêmes principes. Il faut ensuite respecter l'équité fiscale, ce qui suppose une individualisation de l'impôt sur le revenu.

    Une fiscalité juste doit à la fois permettre à la puissance publique de faire face à des obligations décidées démocratiquement, notamment en matière écologique, et de réduire les inégalités sociales. C'est tout l'enjeu du débat qui s'ouvre.

    Vincent Drezet, Porte-parole de Solidaires finances publiques,  Pierre Khalfa, Coprésident de la Fondation Copernic et  Christiane Marty, Membre du conseil scientifique d'Attac

  • Agro-industrie bretonne : l'heure de vérité

    Le Monde.fr du 19.11.2013 Par Aurélie Trouvé (économiste et agronome, coprésidente du Conseil scientifique d'Attac)

    Ces derniers jours, le projet d'écotaxe a essuyé une pluie de critiques, pour beaucoup à juste titre. La gestion serait assurée par un grand conglomérat privé, Ecomouv, qui s'attribuerait près du quart des recettes de la taxe, engrangeant des profits excessivement élevés.

    Au final, 60% au mieux des recettes bénéficieraient aux modes de transports alternatifs à la route. Les autoroutes seront exemptées de la taxe et donc indirectement favorisées, de même que le transport aérien. Sans compter le manque de politiques pour accompagner le fameux " transfert modal " vers le transport ferroviaire et fluvial.

    Mais est-ce pour autant une raison de rejeter le principe de cette taxe ? Pénaliser les produits en fonction de leur distance, tout en reversant les recettes à des politiques de conversion du modèle de développement, pourrait être un moyen de relocalisation des activités et de transition écologique et sociale.

    Ce pourrait être une opportunité pour une région comme la Bretagne, dont une grande partie de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire, qui représente un tiers des emplois, se trouve dans une impasse économique.

    CHAMPIONNE DE LA PRODUCTION DE MASSE

    La Bretagne est la championne de la production agricole de masse. Mais elle dégage des marges réduites. Numéro un des productions animales, elle n'a mis en place aucune appellation d'origine protégée dans le secteur. Elle se retrouve prise dans l'engrenage d'un élevage industriel, de plus en plus coûteux en énergies fossiles et en alimentation animale concentrée, notamment du soja qu'elle importe d'Amérique via ses grands ports.

    Les agriculteurs vendent ensuite au rabais leurs porcs, leurs volailles, leur lait à des grandes industries agroalimentaires. Des industries qui jouent quant à elles sur des marchés de produits standards, de faible qualité, ne pouvant faire face à la concurrence internationale que par des prix et des coûts salariaux toujours plus faibles.

    Le spectre des opposants à l'écotaxe a de quoi semer la plus grande confusion. Quand Leclerc ferme en solidarité avec les agriculteurs et les industries agroalimentaires bretonnes, on oublie que la grande surface est la première à les saigner en pressurant les prix pour gonfler ses marges.

    Quand le grand patronat défile avec les salariés, on oublie que les marges des actionnaires ne font que grandir au détriment des salaires. Quand les bonnets rouges scandent avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) " Vivre, décider, travailler, en Bretagne ", on oublie que le modèle soutenu par le syndicat agricole majoritaire a fusillé l'emploi et dégradé le cadre de vie, remplissant de nitrates et d'algues vertes les nappes phréatiques et les plages bretonnes.

    Xavier Beulin, président de la FNSEA, déplore une écotaxe qui pénalisera les produits à faible valeur ajoutée et nous empêchera d'être aussi compétitifs que la Pologne ou l'Allemagne. La FNSEA a appelé à manifester à Quimper pour poursuivre un modèle insoutenable : produire toujours plus, toujours moins cher.

    L'AGROBUSINESS BRETON SE PREND LE MUR

    Tant et si bien que les abattoirs Gad, qui licencient en ce moment près de 900 salariés, embauchent des salariés des pays de l'Est à Josselin dans le Morbihan, par le biais d'agences d'intérim étrangères et d'un autre droit du travail, bien plus avantageux.

    Tant et si bien que leurs volailles congelées bas de gamme ne peuvent plus être exportées qu'à coup de dumping, de fortes subventions à l'export sur le dos du contribuable.

    Ces subventions sont aujourd'hui supprimées et la directive européenne sur les nitrates ne laisse pas d'autre choix que de réduire la production : faute d'avoir su ou pu négocier le virage, l'agrobusiness breton se prend le mur.

    Pensant profiter de l'augmentation de la production, il a même activement contribué à sa perte, en plaidant au sein de la FNSEA et dans diverses structures de lobbying une dérégulation des marchés et notamment la fin des quotas laitiers. Il a tellement bien réussi que la France a cessé de soutenir les quotas.

    Certes, il faut se garder de généraliser ce modèle à toute la Bretagne : d'autres entreprises agroalimentaires ont su diversifier leur production, miser sur la qualité et la valeur ajoutée. Certains éleveurs, comme ceux du Centre d'étude pour le développement d'une agriculture plus autonome (Cedapa), ont su montrer qu'on pouvait créer de l'emploi et réussir avec des prairies extensives et des pratiques bien plus respectueuses de l'environnement. Ils ont mis en avant les complémentarités entre cultures et élevages, disparues ces dernières dizaines d'années quand la Bretagne s'est ultra spécialisée dans l'élevage intensif.

    SOUTENIR LA RECONVERSION DE L'ÉLEVAGE

    Mais pour un tel changement de modèle de développement, encore faut-il des politiques qui l'accompagnent : un encadrement des marges de la grande transformation et de la grande distribution, l'arrêt des aides sans conditions aux industries et une redistribution vers des activités relocalisées, écologiques et sociales.

    Des politiques que les gouvernements successifs, y compris celui-ci, ne proposent pas. Ainsi en est-il de la redistribution des aides de la politique agricole commune, décidée ces semaines-ci, qui aurait pu encore bien davantage soutenir la reconversion de l'élevage au lieu de continuer à aider des céréaliers aux revenus indécents.

    L'écotaxe telle qu'elle est conçue, ajoutée à une politique fiscale injuste qui continue de pénaliser les classes moyennes et précaires, ne pouvait donc qu'attirer les foudres. Mais ce n'est surtout pas une raison pour jeter le bébé avec l'eau du bain et enterrer cette bonne idée.

    Aurélie Trouvé (économiste et agronome, coprésidente du Conseil scientifique d'Attac)

  • Solidarité syndicale sans frontières : le cas de Latécoère

    Sur les blogs du Monde Diplomatique, cet article passionnant de Pierre Souchon sur la répression syndicale en Tunisie liée aux délocalisations… de la France vers la Tunisie et retour vers la France. Syndicalisme au sud et au nord…

    http://blog.mondediplo.net/2013-11-08-Solidarite-syndicale-sans-frontieres-le-cas-de

  • Note sur la 9ème réunion ministérielle de l'OMC

     Un article un peu "pointu" sur la future réunion de décembre à Bali. A lire pour mieux comprendre les enjeux…


    3-6 décembre, Bali, Indonésie

    Tous les deux ans, l'OMC tient une réunion ministérielle, c'est-à-dire la réunion des représentants des Etats membres de l'Union (159 en mars 2013). Cette réunion est celle de l'instance de décision politique de l'OMC et elle a vocation a décider si les Etats consentent, ou pas, à aller plus loin dans la réalisation de l'objectif de cette institution, la libéralisation du commerce au niveau le plus élevé possible dans tous les secteurs.

    Description rapide de l'OMC : les enjeux généraux

    Comme vous le savez, l'OMC a été créée fin décembre 1994 et elle regroupe un traité fondateur qui pose les principes avec une foule de traités dans les domaines qui relèvent de sa compétence (entre autres, l'agriculture, les services, les marchés non agricoles, la propriété intellectuelle et beaucoup d'autres1).

    Depuis 2001 (réunion de Doha) puis 2003 (Cancun), les négociations patinent, essentiellement du fait du dossier agricole et des questions de développement : suivant le fait que l'OMC est une institution multilatérale composée d'Etat, le principe est celui de l'accord unanime et général (les Etats sont d'accord sur tout ou sur rien), acquis au consensus (le silence des Etats valant acceptation des propositions portées par le directeur général lors de chaque réunion ministérielle.)

    Les négociations en 2001 ont achoppées essentiellement sur les questions des objectifs de développement.

    Dès lors, l'OMC n'est plus le seul théâtre de la guerre commerciale mondiale, ni même le théâtre principal : les accords bilatéraux et régionaux se sont développés sous l'impulsion non seulement des grandes puissances mais encore des pays émergents. Ainsi nous avons vu se développer des accords tous azimuts (Nord-Nord ; Nord-Sud ; Sud-Sud), portant désormais des dispositions dites OMC+, notamment sur la protection des investissements prévoyant désormais des dispositifs de mécanismes investisseurs-Etats et concernant la protection de la propriété intellectuelle.

    On peut donc s'interroger de savoir si l'OMC demeure un enjeu pour les organisations du mouvement social, dans la mesure où des accords plus menaçants existent (par exemple, l'accord UE-Canada (AECG), et le projet de grand marché transatlantique). Si l'OMC demeure un enjeu c'est qu'elle continue de produire des études sur l'état de l'économie mondiale, de veiller à la conformité des politiques commerciales de ses membres avec ses règlements, mais surtout parce qu'elle joue toujours un rôle clé dans la formulation des cadres et des normes régissant le commerce mondial.

    L’Organe de règlement des différends (ORD) occupe une fonction centrale dans l'énonciation de la justice « commerciale » : le nombre et la variété des différends en cours est impressionnant et montre bien le champ d'intervention de l'OMC2. Ainsi se crée une "jurisprudence" commerciale qui sert de référence dans les différends commerciaux, y compris hors OMC.

    De plus, des discussions informelles se poursuivent sur la question des services (négociation d'un accord plurilatéral entre « les amis » des services – UE, États-Unis, Australie), et officiellement sur la « facilitation du commerce » (harmonisation des formalités légales, publication et transparence de tous les règlements nationaux...) ou encore sur le commerce des technologies de l'information. Récemment, un groupe de "vrais amis des services" a fait des propositions pour la mise en place d'un "Accord général sur les services" (AGS).

    Enjeux des négociations en cours

    Avant chaque réunion ministérielle, le DG convoque réunion sur réunion pour tenter de mettre en place un texte qui a des chances d'être adopté lors de la réunion ministérielle (ce que dans le jargon on appelle un « paquet »). Actuellement, ce texte comporte trois volets : un sur la facilitation du commerce, un sur l'agriculture, un sur les questions de développement et sur les pays les moins avancés (PMA).

    L'idée générale est que la facilitation du commerce est surtout poussée par les pays développés, les deux autres par les pays plus pauvres. Les pays développés estiment avoir faits ou pouvoir faire des concessions dans les deux derniers dossiers, ce qui leur permet d'attendre des pays plus pauvres qu'ils acceptent le contenu des propositions dans le dossier concernant la facilitation du commerce.

    Qu'est-ce que la facilitation du commerce ?

    La facilitation du commerce recouvre les règles que les pays mettent en place pour rendre les échanges internationaux plus fluides et plus surs. Il s'agit d'améliorer les échanges par l'harmonisation des procédures en douanes, par leur accélération et leur facilitation, avec, le cas échéant, une amélioration (par hypothèse financée par les pays plus riches) des capacités commerciales des Etats (en termes d'infrastructures techniques notamment).

    Ce dossier se négocie en même temps que la question du traitement spécial et différencié (TSD) dont pourraient bénéficier les pays en développement, l'idée étant qu'ils acceptent les nouvelles règles de facilitation du commerce contre un traitement spécial leur permettant d'adapter le rythme d'adoption des règles nouvelles à leur situation particulière.

    On voit se dessiner un clivage entre les pays développés et certains pays émergents (Chine, Corée, Singapour …) et les PMA sur ce que comporterait effectivement le TSD (général ou pas), sachant que pour les pays en développement qui se sont exprimés sur la question, les propositions sur la table auraient pour effet non pas tellement d'améliorer leur insertion dans le marché mondial en augmentant leurs exportations mais bien plutôt à faciliter leurs importations en provenance des pays développés – de surcroît au prix d'une intrusion dans les politiques nationales par l'introduction de ces nouvelles règles (avec, au passage, un nouvel abaissement de fait des tarifs douaniers). Le clivage se dessine aussi sur le rythme proposé de mise en place de ces normes, les pays développés plaidant pour une application rapide, les pays en développement estimant qu'ils doivent avoir une latitude pour s'adapter.

    Concernant l'agriculture (sujet crucial à l'OMC), le clivage demeure sur la question des subventions, à quoi s'ajoute celle de la constitution de stocks publics et de prix administrés, question préoccupante depuis les épisodes de crises alimentaires graves (sur le riz, les émeutes considérables un peu partout dans les monde) de ces dernières années. Comme toujours, les pays en développement ont demandé que les règles agricoles existantes soient modifiées afin de leur permettre de subventionner les agriculteurs et promouvoir la sécurité alimentaire. Les États-Unis y sont fermement opposés, tout en continuant à ne pas vouloir réduire leurs propres subventions à l'industrie agroalimentaire.

    Cette année, la négociation se concentre autour de la question de la « clause de paix ». Les pays s'engageraient à ne pas déposer de demandes les uns contre les autres devant l'Organe de règlement des différends si les subventions vont au-delà des niveaux consolidés tant qu'une solution permanente est négociée. À bien des égards, les pourparlers se résument à la question de savoir si l'Inde va exiger une clause de paix indéfinie dans le temps et qui durerait jusqu'à ce qu'un changement permanent soit accepté, ou si les Etats-Unis maintiennent leur demande que la clause de paix ne soit que temporaire, le temps de laisser aux pays celui d'aboutir à un accord - tout en exigeant que les pays en développement donnent dès maintenant des engagements contraignants et permanents sur la facilitation du commerce. Il semble d'ailleurs que déjà l'Inde cède et soit prête à ce contenter d'une clause de paix de 2 ou 3 ans pour que son programme d'achats de produits alimentaires (essentiellement blé et riz) ne soit pas poursuivi. Si cela se vérifie, c'est une abdication de l'Inde qui fera du tort à tous les autres PED.

    Concernant le développement et des PMA, la revendication des pays les moins avancés et de nombreux autres pays en développement consiste à demander des flexibilités ou, pour le dire autrement, que les règles de la concurrence est trop difficile à mettre en œuvre et que les pays qui en ont besoin devraient pourvoir bénéficier d'une certaine souplesse du fait de leur situation objectivement défavorisée. Deux éléments du dossier : les règles d'origine préférentielle et le coton.

    L'accord sur les règles d'origine (instauré dans l'accord fondateur de l'OMC) définit les règles d'origine comme celles appliquées par les Etats membres "pour déterminer le pays d'origine des marchandises, à condition que ces règles d'origine ne soient pas liées à des régimes commerciaux contractuels ou autonomes qui donnent lieu à l'octroi de préférences tarifaires." (article 1-1).

    Ainsi, les Etats peuvent prendre une réglementation qui marque l'origine des produits dans un certain nombre de cas, et parfois cela peut être des mesures de sauvegarde (cas exceptionnels, temporaires et conditionnels où le pays peut prendre des mesures discriminatoires pour sauvegarder sa production) ou et des restrictions quantitatives ou de contingents tarifaires discriminatoires (quand exceptionnellement elles sont autorisées, toujours de manière transitoire). Ils peuvent aussi mettre en place une réglementation relative au marquage de l'origine (appellations d'origine contrôlées).

    Les PMA estiment que ces dispositions, si elles sont appliquées de manière large, pérenne voire systématique seraient un instrument utile pour permettre des aménagements des règles de l'OMC à leur situation, ce qui est leur revendication première depuis le début. Essentiellement, dans les négociations en cours, il s'agit de permettre des échanges discriminés en faveur des PMA (d'un côté, ils pourraient restreindre les importations, de l'autre les pays développés importeraient leurs produits, notamment le coton, "en DFQF" <libre de droits, sans contingents>).

    A propos de coton, déclaration le 30 octobre du président du groupe "Développement et PMA". Il indique que le groupe des 4 (pays qui ont fait une proposition, Bénin , Burkina Faso, Mali et Tchad) veut une décision lors de la conférence ministérielle pour permettre au coton en provenance des pays les moins avancés d'avoir accès aux marchés des pays développés en franchise de droits et au moins dans certains pays en développement d'ici 2015, et d'éliminer les subventions à l'exportation restantes pour le coton dans les pays développés immédiatement. Ils demandent également une décision d'ici la fin de 2014, sur la façon de réduire le soutien interne pour le coton. Il a indiqué qu'un accord intérimaire est nécessaire à Bali, ce qui aiderait établir un programme clair pour le coton dans les négociations sur l'agriculture à long terme

    Analyses, réseaux et mobilisations

    OWINFS, réseau auquel appartient Attac, estime que les minuscules avancées sur l'agriculture et sur le développement ne doivent pas se payer par une acceptation des propositions sur la facilitation du commerce qui sont trop déséquilibrées en faveur des pays développés puisqu'elles visent essentiellement à améliorer les importations (ou les exportations des pays exportateurs qui se trouvent être les pays développés).Ce réseau considère qu'il est est possible de soutenir les propositions sur l'agriculture et le développement (sous réserve de dénoncer leur timidité) puisque ce serait la première fois que l'idée d'une adaptabilité des règles de l'OMC à la situation concrète des pays en difficultés serait acceptée comme telle.

    Il organise un certain nombre d'événements à voir sur le site : http://www.ourworldisnotforsale.org/

  • Le contrat insensé de l'écotaxe

    Site de Médiapart (pour les abonnéEs) : http://www.mediapart.fr/journal/france/311013/le-contrat-insense-de-lecotaxe (31 OCTOBRE 2013, par Martine ORANGE)
     
    Un contrat léonin souscrit au détriment des intérêts de l’État, des soupçons de favoritisme et de corruption, la menace de 800 millions d'euros à verser en cas d'annulation, une taxe qui ne répond pas aux objectifs de fiscalité écologique... La mise en place de l’écotaxe en France, imaginée et portée par la précédente majorité, tourne au scandale d’État.
     
     
    Qui a signé le contrat de l’écotaxe ? Au lendemain de l’annonce de la suspension de la taxe sur les transports de poids lourds annoncés par Jean-Marc Ayrault, la pression politique monte au fur et à mesure que le gouvernement révèle les termes du contrat de partenariat public-privé dans lequel il se retrouve piégé. L’État devrait verser 800 millions d’euros de dédit à la société privée Ecomouv, chargée de la mise en place de cette taxe, si jamais il revenait sur sa décision de l’implanter dans les conditions arrêtées par le contrat.
     
    800 millions d’euros ! La somme a sidéré l’ensemble des Français. « Il n’y a pas un scandale de l’ écotaxe, il y a un scandale Ecomouv », a dénoncé Joël Giraud, député radical de gauche lors de la séance des questions d’actualité. Le sénateur PS François Rebsamen demande une commission d’enquête parlementaire pour mettre au clair les conditions d'attribution de ce partenariat public-privé. Il avoue avoir des « doutes sur la création de cette société censée collecter l’écotaxe ».
     
    Jusqu’alors déterminée à utiliser sur tous les tons politiques le thème du ras-le-bol fiscal, prête à dauber sur le énième recul du gouvernement, la droite se tient silencieuse. C’est elle qui a imaginé, porté, choisi les modalités de la mise en œuvre de l’écotaxe, accepté les termes de la société Ecomouv. Même si le contrat a été officiellement signé le 20 octobre 2011 par le directeur des infrastructures, Daniel Bursaux, la signature a été précédée d’un accord écrit de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’environnement, Valérie Pécresse, ministre du budget, François Baroin, ministre de l’économie et des finances.
     
    Mais, brusquement, les uns et les autres se dégagent de toute responsabilité. Tout semble s’être passé ailleurs, sans eux. « Nathalie Kosciusko-Morizet a bien signé. Mais elle ne s’en est pas occupée. Tout était déjà bouclé », assure sa porte-parole, éludant la question de savoir si elle aurait pu remettre en cause le projet. « Moi, je n’ai rien signé. Le seul texte que j’ai approuvé est le décret pour l’application de l’écotaxe, le 6 mai 2012 (le jour même du second tour de l’élection présidentielle - ndlr) », semble presque se féliciter Thierry Mariani, alors ministre des transports et normalement chargé de la gestion du dossier. Lui aussi dit qu’il n’avait aucun pouvoir de modifier les choses, « tout avait été arrêté avant ».
     
    Tous les regards se tournent vers Jean-Louis Borloo, qui a occupé auparavant le poste de ministre de l’environnement. C’est lui qui a lancé l’écotaxe, seul résultat tangible du Grenelle de l’environnement. Très bavard au lendemain de la révolte bretonne, critiquant la mauvaise gestion gouvernementale, l’ancien ministre de l’environnement se tait désormais. Il n’a pas retourné nos appels. Quant à Dominique Bussereau, ministre des transports qui a supervisé lui aussi le lancement du projet, il a disparu des écrans radars.
     
    Le jeu de défausse des responsables de droite traduit leur inquiétude. Les uns et les autres flairent le danger. Tout est en place pour un scandale d’État. Car il n’y a pas que les 800 millions d’euros de dédit qui sont hors norme. Des choix du contrat aux conditions d’implantation en passant par la sélection de la société, tout a été fait dans des conditions extravagantes, au détriment de l’État. Sous couvert d’écologie, le gouvernement de Nicolas Sarkozy et l’administration ont accepté des mesures exorbitantes du droit commun, allant jusqu’à revenir sur le principe républicain que seul l’État perçoit l’impôt. Chronique d’un naufrage.

    (la suite, pour les abonnéEs sur le site de Médiapart)