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Entretien - Page 2

  • Nous vivons plus qu’une convergence de crises,…

    … l’effondrement est déjà là »

    Par Agnès Rousseaux (13 septembre 2010)

    Crise après crise, le système capitaliste semble perdurer. Spéculation financière, dégâts environnementaux et inégalités mondiales repartent de plus belle. Et pourtant…

    Pour Geneviève Azam, économiste et co-présidente du conseil scientifique d’Attac, les illusions d’un monde aux ressources infinies et à la croissance illimitée sont tombées. Le modèle capitaliste n’est plus porteur de rêves. Un nouveau rapport au monde émerge, aux contours encore incertains. Réussira-t-il à opérer la transition vers un « postcapitalisme civilisé » ? Entretien avec l’auteure du livre « Le temps du monde fini ».

    Basta ! : La succession des crises – financière, sociale, écologique... – n’entraînent toujours pas de changements radicaux au sein du système capitaliste. Faut-il attendre son effondrement total pour que ce modèle soit remis en question ?

    L’effondrement est déjà là. Nous vivons plus qu’une crise, plus qu’une convergence des crises, mais l’imbrication de toutes les crises. Des émeutes de la faim viennent de nouveau d’éclater au Mozambique. Un tel événement est quasiment impensable dans nos sociétés ! Ces émeutes sont le résultat d’un modèle agricole productiviste et de la spéculation sur les produits agricoles, sur les terres, donc du système financier. C’est également une conséquence de la crise écologique, avec le réchauffement climatique, et de la crise énergétique, avec le développement des agrocarburants pour remplacer le pétrole. Chaque manifestation de l’effondrement que nous vivons combine toutes ces crises.

    Nous nous acharnons à repousser toute limite. C’est, selon vous, ce qui caractérise deux siècles d’histoire économique. Sentez-vous une prise de conscience de la rareté, voire de la finitude, de nos ressources et des limites intrinsèques à notre planète ?

    Si on fait l’hypothèse que le capital technique peut se substituer indéfiniment au capital naturel, il n’existe effectivement aucune limite. La pensée économique reste prisonnière de cette hypothèse, et de celle de la réversibilité du temps, du possible retour en arrière. La crise écologique montre au contraire que des phénomènes irréversibles, que des destructions définitives sont à l’œuvre. Depuis une vingtaine d’années, les mouvements sociaux ont pris conscience de ces limites. Une expertise citoyenne s’est peu à peu construite sur l’énergie, les semences ou le climat, démontant l’illusion que la technique pourrait remplacer ce qui est détruit.

    Les théories économiques oublient la nature. Quand elle est prise en compte, on parle « d’externalités ». On lui attribue un prix comme s’il existait une mesure commune entre nature et marchandises. Cela me gêne. Fixer un prix laisse penser qu’une compensation est possible, qu’il suffit de payer. Certaines dégradations sont irréversibles, et payer ne remplacera jamais les pertes. Parler d’externalités est aussi très révélateur, comme si c’était juste quelque chose de regrettable. C’est le processus lui-même qui doit être modifié et pas simplement ses effets « regrettables ».

    Ne risque-t-on pas de s’enfermer dans une gestion économique de la crise écologique, avec, par exemple, le « marché des droits à polluer » ou le principe pollueur-payeur ?

    Donner un prix à des pollutions traduit une prise de conscience. Il est logique que ceux qui abiment l’espace public pour des motifs de rentabilité privée soient redevables. Mais comment fixer ce prix ? Aujourd’hui, on nous répond : « par le marché ». Après le marché des droits à polluer pour le climat, la mise en place d’un marché de la biodiversité, avec des droits de compensation et des « mécanismes de développement vert », est à l’ordre du jour. Ce sera sur la table de la prochaine conférence sur la biodiversité au Japon, en octobre. Un tel « marché » induit la possibilité de détruire la biodiversité quelque part à condition de la remplacer ailleurs. Il se met déjà en place. La Caisse des dépôts a créé une filiale pour gérer ce genre de titres. On commercialise la nature dans ce qu’elle a de plus essentiel, le vivant et la biodiversité. Difficile d’aller plus loin.

    Quant au principe pollueur-payeur, je souhaite que BP paye pour tous les dégâts occasionnés aux États-Unis. Mais s’il existe des dégâts écologiques, il y a aussi des crimes écologiques. Quand, au nom de la rentabilité, on ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des installations, des personnes et de la biodiversité, c’est un crime contre l’humanité. Ce problème ne relève pas du champ économique, de compensations financières, mais du droit.

    Le temps du « monde fini » est aussi, selon vous, celui de la « perte d’un monde commun »... Qu’entendez-vous par là ?

    La gestion de la rareté se fait par l’augmentation de la concurrence, qui est de plus en plus féroce. Cela menace la possibilité de définir collectivement des règles, fondées sur la liberté et la justice, la possibilité d’un monde commun. La philosophe Hannah Arendt parle du triomphe de l’animal laborans. Le productivisme réduit les hommes « à des travailleurs dans une société sans travail ». On ne produit plus d’objets durables. Pour une grande majorité de personnes, le sens du travail consiste désormais à entretenir le rythme biologique, la consommation, la machine humaine. Le travail consume les êtres. Dès lors que les individus sont centrés sur la production de leur propre espace vital, de leur propre survie, le monde commun à l’autre tend à disparaître. La conception néo-libérale d’un être totalement tourné sur lui-même, auto-suffisant, narcissique, « libre », accélère ce processus.

    La suite de cet entretien de Geneviève Azam sur le site de Basta :

    http://www.bastamag.net/article1174.html

  • L’austérité ne peut qu’aggraver la crise pendant de longues années »

    Enseignant à l’Université du Texas, l’américain James K. Galbraith critique les politiques menées par son pays depuis Ronald Reagan. L’économiste promeut une nouvelle configuration du système financier afin de mettre un terme aux crises. Il propose, notamment, de délimiter le rôle et le secteur d’investissement de chaque banque, comme c’était le cas en France à la Libération, avec un « crédit agricole », un « crédit industriel et commercial », ou des « caisses d’épargne ».

    Le G20 a repoussé la lutte contre les paradis fiscaux et l’instauration d’une taxe sur les transactions financières aux calendes grecques. Ces deux mesures constituent-elles, pour vous, des priorités ?

    Ce sont des chantiers qu’il faut bien sûr mener à bien, mais il faut aussi remettre en cause d’autres éléments. Par exemple, la réglementation du secteur bancaire en Europe a été modifiée ces dernières années. Le fameux code de conduites, appelé Bâle II, a permis aux établissements européens de prendre un niveau de risque aussi élevé qu’aux États-Unis. D’ailleurs, on compte nombre d’établissements financiers européens parmi les victimes de la crise des « subprimes ». Ensuite, après une période d’assouplissement des politiques en raison de la crise, l’Europe est revenue à « la théologie du chiffre », symbolisée par l’interdiction faite dans le Traité de Maastricht aux déficits publics de dépasser 3% de la richesse nationale.

    Ce type d’objectif entraîne des dégâts considérables : l’austérité ne peut qu’aggraver la crise pendant de longues années. Les États-Unis en cela ont bien raison de ne pas suivre la voie européenne. Le niveau d’endettement des États n’a qu’une seule issue : il faut renégocier leurs dettes. Les banques doivent prendre leurs pertes, mais pour le moment, elles refusent de voir les dettes publiques renégociées comme pour l’Amérique latine à la fin des années 1990. Pendant ce temps, les banques gagnent 4% sur chaque prêt qu’elles accordent à un État grâce à la politique de taux faibles menée par la Banque Centrale Européenne. Je conseille à chacun de devenir banquier et de ne pas oublier de s’offrir un bonus.

    Quelle réforme du secteur financier proposez—vous ?

    Les États doivent prendre leurs responsabilités en matière bancaire car ils sont de fait engagés dans ce secteur, qu’ils le veuillent ou non. Pour prendre un seul exemple de leur implication : sans contrôle des États, personne ne placerait ses économies dans une banque. Il faut faire appel au principe de justice et mener des enquêtes pénales et civiles sur les dirigeants d’entreprises qui ont créé les hypothèques frauduleuses aux États-Unis. C’est d’ailleurs ce qui s’est fait lors de la précédente grande faillite américaine du secteur financier, celle des Caisses d’Épargne, appelées Saving & Loans, au début des années 1990. Cela permettrait de changer les dirigeants du système bancaire et des circuits financiers. Ensuite, il faut desserrer l’emprise dont disposent les banques sur le pouvoir politique, en particulier aux États-Unis. Nous pouvons pour cela nous inspirer des enseignements que nous offre l’histoire. Aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, la France avait institué de multiples banques dont la taille était clairement délimitée. En outre, cela permettait de leur assigner une mission spécifique : la Caisse des Dépôts finançait les infrastructures, le CIC le commerce et les entreprises, le Crédit agricole le monde paysan...

    Pourquoi est-il si important de discipliner le monde de la finance ?

    Une question est oubliée dans les médias américains et parmi la classe politique. Il s’agit de la cause de la crise. Celle-ci a été provoquée par une fraude financière massive, ce que j’appelle une véritable opération de « faux-monnayeurs ». Elle a été rendue possible par le retrait des autorités publiques. Un retrait qui a autorisé les activités financières les plus agressives sur le marché immobilier américain. Ainsi, est apparue une multitude de prêts hypothécaires frauduleux. Des institutions financières ont créé des millions d’hypothèques pour des Américains dont les revenus étaient trop faibles pour pouvoir normalement acquérir leur propre maison. Ces derniers étaient attirés par des remboursements bas durant les deux ou trois premières années. Mais, le poids de ceux-ci triplaient rapidement. Ces financements immobiliers frauduleux ont représenté jusqu’à 40% du marché des hypothèques aux États-Unis en 2006 et 2007.

    Les producteurs de ces hypothèques savaient que ces Américains ne pourraient même pas faire face aux intérêts. Ensuite, ces hypothèques frauduleuses ont été revendues un peu partout, comme si elles étaient aussi sûres que les Bons émis par le Trésor des États-Unis. Et ce, alors qu’elles avaient une probabilité de 100% de perdre toute leur valeur. La crise a éclaté lorsqu’il est devenu clair que les prix des maisons ne pouvaient plus augmenter et que toutes les institutions financières étaient truffées de ces produits. Résultat, le système financier dans son ensemble s’est grippé.

    Pourquoi la crise se répercute-t-elle désormais sur la dette publique des États européens, comme la Grèce ou l’Espagne ?

    La crise n’est pas sur le point de se terminer, contrairement à ce que certains tentent de nous faire croire. Au contraire, elle s’aggrave puisque les investisseurs se sont retirés du marché immobilier américain pour se réfugier sur celui de la dette publique, notamment grecque. Il faut insister sur un point : les fameux « marchés financiers » ont toléré la « mauvaise gestion » grecque durant la période d’expansion de l’économie, puis ils ont sévi lorsque le cycle s’est inversé. Il vaut mieux se demander d’où vient ce monceau de dettes publiques ? Tout simplement de l’obligation devant laquelle se sont trouvés les pays de stabiliser leur économie en procédant à une hausse des dépenses publiques, conformément aux observations de Keynes, afin de garder la crise sous contrôle. Le problème, c’est évidemment que les États doivent dépenser plus alors que leurs recettes sont momentanément amputées par la chute de la croissance. Face à ce phénomène, les pays européens ont choisi de déclencher une vague d’austérité. Or, en l’absence de dépense publiques, les économies des deux côtés de l’Atlantique ne pourront donc pas revenir à la croissance puisque les dépenses privées ne prendront pas le relais.

    A lire sur le site : http://www.bastamag.net/article1123.html

    Propos recueillis par Olivier Vilain, 20 juillet 2010.

  • François Ruffin : "Je crois que le cours de la bataille…

    des idées est en train de s'inverser"

    Encore le CNR ? Encore la mise en application de son programme dans la France de l'après-guerre ? Et encore la façon dont ce programme a peu à peu été grignoté par les politiciens et milieux d'affaire ? Certains vont trouver que ça commence à bien faire... Difficile - pour être honnête - de leur donner tout à fait tort. En commentaire de l'entretien accordé sur le sujet par Jean-Luc Porquet, Défendre le rêve porté par les résistantsKarib pointait ainsi l'inutile fantasme d'un modèle social ne correspondant pas à nos aspirations. Pourquoi magnifier cette « phase du capitalisme où l'État avait su imposer un minimum de protection sociale pour parer à toute velléité de contestation sociale, et diriger l'investissement vers le capital dit "productif" » ? Bonne question. En commentaires toujours, Juliette rappelait que « ce ne sont pas des idéaux, des grands sentiments, des héros, qu'il nous faut, et ce retour plus qu'insistant, en ce moment, aux symboles (encore un truc dont on se passe) de la Résistance, est davantage le signe qu'on n'arrive pas à penser le présent et à agir sur lui ». Bien vu, derechef.

    Pourtant... on y revient. Parce que le sujet continue à nous passionner. Qu'on pense qu'il s'agit davantage d'une étude historique distanciée et d'une participation au débat public que d'une adhésion au programme du CNR. Qu'on est à la veille du rassemblement organisé aux Glières par l'association Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui. Et - surtout - que François Ruffin (aprèsGilles Perret [] et Jean-Luc Porquet) porte une analyse passionnante des forces qui se sont mises en branle après 1945, de ce combat idéologique d'ampleur qui se joue depuis soixante ans. Entre eux et nous, tout est question de rapports de force, dit-il. Et depuis la fin des années 70, leur victoire, dans les têtes comme dans les faits, est presque totale. Le libéralisme mène le jeu.

    Son analyse, François Ruffin - auteur des Petits Soldats du journalisme, de Quartier Nord et de La Guerre des Classes - a eu le temps de la maturer. Parce qu'il a participé à l'ouvrage collectif Les Jours Heureux, dirigé par Jean-Luc Porquet [] et sous-titré "Le programme du Conseil national de la résistance de mars 1944 : comment il a été écrit et mis en oeuvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition" : il en a écrit le chapitre qui porte sur la presse. Et parce qu'il est revenu sur le sujet dans Fakir, journal d'enquête sociale qu'il dirige et fait vivre, avec une petite équipe, depuis dix ans. Le dernier numéro - actuellement en kiosques - revient ainsi longuement sur « ce que nos papis ont construit » et « ce que notre élite démolit ». Et dresse notamment le portrait des bâtisseurs - ceux qui ont mis en œuvre et défendu le programme du CNR - et de ses liquidateurs.

    Entretien à lire sur l'excellent blog "Article XI : http://www.article11.info/spip/spip.php?article804