Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Naomi Klein : comment l’élite mondiale va tenter d’exploiter la pandémie

    Dans une interview avec VICE, Naomi Klein explique comment les gouvernements et l’élite mondiale vont tenter d’exploiter la pandémie, selon la « stratégie du choc » qu’elle a décrite il y a plus de dix ans.

    VICE : Commençons par l’essentiel. Qu’est-ce que le capitalisme de catastrophe ? Quel est son rapport avec la “doctrine de choc” ?

    La façon dont je définis le “capitalisme catastrophe” est très simple : il décrit la façon dont les industries privées émergent pour bénéficier directement des crises à grande échelle. La spéculation sur les catastrophes et la guerre n’est pas un concept nouveau, mais elle s’est vraiment approfondie sous l’administration Bush après le 11 septembre, lorsque l’administration a déclaré ce type de crise sécuritaire sans fin, et l’a simultanément privatisée et externalisée — cela a inclus l’État de sécurité nationale et privatisé, ainsi que l’invasion et l’occupation [privatisée] de l’Irak et de l’Afghanistan.

    La “doctrine de choc” est la stratégie politique consistant à utiliser les crises à grande échelle pour faire avancer des politiques qui approfondissent systématiquement les inégalités, enrichissent les élites et affaiblissent les autres. En temps de crise, les gens ont tendance à se concentrer sur les urgences quotidiennes pour survivre à cette crise, quelle qu’elle soit, et ont tendance à trop compter sur ceux qui sont au pouvoir. En temps de crise, nous détournons un peu les yeux, loin du jeu réel.

    VICE : D’où vient cette stratégie politique ? Comment retracer son histoire dans la politique américaine ?

    La stratégie de la doctrine de choc était une réponse au programme du New Deal de Milton Friedman. Cet économiste néolibéral pensait que tout avait mal tourné aux États-Unis sous le New Deal : en réponse à la Grande Dépression et au Dust Bowl, un gouvernement beaucoup plus actif a émergé dans le pays, qui s’est donné pour mission de résoudre directement la crise économique de l’époque en créant des emplois gouvernementaux et en offrant une aide directe.

    Si vous êtes un économiste du libre marché, vous comprenez que lorsque les marchés échouent, vous vous prêtez à un changement progressif qui est beaucoup plus organique que le type de politiques de déréglementation qui favorisent les grandes entreprises. La doctrine de choc a donc été développée comme un moyen d’éviter que les crises ne cèdent la place à des moments organiques où des politiques progressistes émergent. Les élites politiques et économiques comprennent que les moments de crise sont l’occasion de faire avancer leur liste de souhaits de politiques impopulaires qui polarisent encore plus la richesse dans ce pays et dans le monde entier.

    VICE : Nous sommes actuellement confrontés à de multiples crises : une pandémie, le manque d’infrastructures pour la gérer et l’effondrement de la bourse. Pouvez-vous nous expliquer comment chacun de ces éléments s’inscrit dans le schéma que vous avez décrit dans la Doctrine du choc ?

    Le choc est en réalité le virus lui-même. Et il a été traitée de manière à maximiser la confusion et à minimiser la protection. Je ne pense pas que ce soit une conspiration, c’est juste la façon dont le gouvernement américain et Trump ont géré — complètement mal — cette crise. Jusqu’à présent, M. Trump a traité cette situation non pas comme une crise de santé publique mais comme une crise de perception et un problème potentiel pour sa réélection.

    C’est le pire des scénarios, surtout si l’on tient compte du fait que les États-Unis ne disposent pas d’un programme national de soins de santé et que les protections dont bénéficient les travailleurs sont très mauvaises (par exemple, la loi n’institue pas d’indemnités de maladie). Cette combinaison de forces a provoqué un choc maximal. Il va être exploité pour sauver les industries qui sont au cœur des crises les plus extrêmes auxquelles nous sommes confrontés, comme la crise climatique : l’industrie aérienne, l’industrie pétrolière et gazière, l’industrie des bateaux de croisière, ils veulent consolider tout cela.

    VICE : Comment avons-nous vu cela auparavant ?

    Dans La Doctrine du choc, je parle de ce qui s’est passé après l’ouragan Katrina. Des groupes d’experts de Washington comme la Heritage Foundation se sont réunis et ont créé une liste de solutions “pro-libre marché” pour Katrina. Nous pouvons être sûrs que le même type de réunions se tiendront maintenant. En fait, la personne qui a présidé le groupe Katrina était Mike Pence (N.T : la personne qui préside maintenant le dossier Coronavirus). En 2008, ce mouvement s’est traduit par le sauvetage des banques, où les pays leur ont remis des chèques en blanc, qui se sont finalement élevés à plusieurs milliards de dollars. Mais le coût réel de cette situation a finalement pris la forme de vastes programmes d’austérité économique [réductions ultérieures des services sociaux]. Il ne s’agit donc pas seulement de ce qui se passe maintenant, mais aussi de la façon dont ils vont payer à l’avenir, lorsque la facture de tout cela sera due.

    VICE : Y a‑t-il quelque chose que les gens peuvent faire pour atténuer les dégâts du capitalisme de catastrophe que nous voyons déjà dans la réponse au coronavirus ? Sommes-nous mieux ou moins bien lotis que nous l’étions pendant l’ouragan Katrina ou la dernière récession mondiale ?

    Lorsque nous sommes mis à l’épreuve par la crise, soit nous nous replions et nous nous effondrons, soit nous grandissons, et nous trouvons des réserves de force et de compassion dont nous ne savions pas que nous étions capables. Ce sera l’un de ces tests. La raison pour laquelle j’ai un certain espoir que nous puissions choisir d’évoluer est que — contrairement à 2008 — nous avons une alternative politique si réelle qu’elle propose un type différent de réponse à la crise qui s’attaque aux causes profondes de notre vulnérabilité, et un mouvement politique plus large qui la soutient.

    C’est ce sur quoi ont porté tous les travaux sur le Green New Deal : se préparer à un moment comme celui-ci. Nous ne pouvons pas nous décourager ; nous devons plus que jamais nous battre pour l’universalité des soins de santé, des gardes d’enfants, des congés de maladie payés, tout cela est étroitement lié.

    VICE : Si nos gouvernements et l’élite mondiale vont exploiter cette crise à leurs propres fins, que peuvent faire les gens pour s’entraider ?

    “Je vais prendre soin de moi et des miens, nous pouvons obtenir la meilleure assurance maladie privée qui soit, et si vous ne l’avez pas, c’est probablement votre faute, ce n’est pas mon problème” : voilà ce que ce genre d’économie de winner met dans nos cerveaux. Ce qu’un moment de crise comme celui-ci révèle, c’est notre interrelation les uns avec les autres. Nous constatons en temps réel que nous sommes beaucoup plus interconnectés les uns avec les autres que notre système économique brutal ne le laisse croire.

    Nous pouvons penser que nous serons en sécurité si nous bénéficions de bons soins médicaux, mais si la personne qui prépare ou livre notre nourriture, ou qui emballe nos boîtes n’a pas de soins médicaux et ne peut pas se permettre d’être examinée, et encore moins rester à la maison parce qu’elle n’a pas de congé de maladie, nous ne serons pas en sécurité. Si nous ne prenons pas soin les uns des autres, aucun d’entre nous ne sera en sécurité. Nous sommes coincés.

    Les différentes manières d’organiser la société favorisent ou renforcent différentes parties de nous-mêmes. Si vous êtes dans un système qui, vous le savez, ne prend pas soin des gens et ne distribue pas les ressources de manière équitable, alors notre pulsion d’accumulation sera en alerte. Gardez donc cela à l’esprit et réfléchissez à la manière dont, au lieu de vous entasser et de penser à la façon dont vous pouvez prendre soin de vous-même et de votre famille, vous pouvez changer et réfléchir à la façon dont vous pouvez partager avec vos voisins et aider les personnes les plus vulnérables.

  • Charité ou justice fiscale : qui va payer la crise du coronavirus ?

    AttacCovid19.png

    Communiqué Attac du 8 avril

    Face à l’urgence sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, l’État et les services publics ont un rôle décisif à jouer. La semaine dernière, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a lancé un « un grand appel à la solidarité nationale » et annoncé sa volonté de créer une « plateforme de dons » en ligne, tout en assurant que « la sortie de la crise ne passera pas par une augmentation de la fiscalité ». Loin d’avoir tiré les leçons de décennies d’affaiblissement des services publics et de réformes fiscales favorables aux plus riches et aux multinationales, voici un ministre qui en appelle à la charité pour pallier les défaillances de l’État.

    En quémandant auprès des plus riches, Gerald Darmanin feint d’oublier que l’impôt est la principale ressource à disposition de l’État pour assurer le financement des actions publiques prioritaires. Refuser «  une augmentation de la fiscalité  », c’est considérer les impôts comme un tout uniforme et occulter le débat sur qui paye l’impôt mais aussi sur son rôle. S’il n’est pas souhaitable que le gouvernement augmente les impôts de manière indifferenciée, en revanche l’effort fiscal pour répondre à l’urgence sanitaire et financer une véritable révolution écologique et sociale doit être réparti selon les capacités contributives de chacun·e.

    Cette crise sans précédent dans l’histoire récente, pourrait être l’occasion d’appliquer le principe énoncé par la Déclaration des Droits de l’Homme, selon lequel l’impôt «  doit être également réparti entre les citoyens, selon leurs facultés  » tout en contribuant à financer les énormes besoins sanitaires, sociaux et environnementaux qui se profilent devant nous.

    Renforcer la progressivité de l’impôt

    En France, la fiscalité est trop faiblement progressive. Cela s’explique notamment par l’importance de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont les recettes représentent plus du double des recettes générées par l’impôt sur le revenu. Or, la TVA est un impôt injuste qui prélève davantage les pauvres que les riches, dont la consommation représente une plus faible partie de leur revenu. Il serait donc souhaitable de baisser la TVA sur les produits de première nécessité et, au contraire, d’augmenter la part des impôts progressifs qui prélèvent davantage les revenus et les patrimoines les plus élevés. Un taux zéro de TVA sur les produits de première nécessité permettrait d’amoindrir l’injustice structurelle de la TVA pour un coût budgétaire d’environ 1 milliard d’euros.
    Pour financer cette baisse et dégager de nouvelles ressources, il est nécessaire d’inverser la logique à l’œuvre ces dernières années :

    • au lieu de remplacer l’Impôt sur la Fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière, il faut rétablir et rénover l’ISF, en l’asseyant lsur l’ensemble des actifs d’un contribuable (immobiliers, mobiliers et financiers) et en instaurant un barème progressif : 5 à 10 milliards d’euros (selon l’assiette retenue) pourraient être dégagés par un tel impôt ;
    • au lieu de créer un Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU, aussi appelé «  flat tax  ») de 30% sur la plupart des revenus financiers, il faut au contraire rétablir la progressivité de l’imposition des revenus du capital (dont on rappelle qu’ils sont les plus inégalitairement répartis), ce qui procurerait 2 à 3 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires
    • au lieu d’être bêtement obsédé par sa baisse, il faut augmenter la progressivité de l’impôt sur le revenu en créant de nouvelles tranches supérieures avec un taux d’imposition plus élevé afin de dissuader le versement de trop hautes rémunérations, de réduire les inégalités de revenus et de dégager un rendement substantiel. Les recettes permises pas une tranche imposée au taux marginal de 50% au-delà de 100 000 euros seraient d’autant plus substantielles que cette tranche s’accompagnerait de la suppressions du PFU : au total, ce sont 4 à 6 milliards d’euros qui pourraient être dégagés ;
    • faire de la CSG une contribution progressive, et non plus proportionnelle, et maintenir les recettes ainsi collectées séparées de celle de l’impôt sur le revenu, afin de préserver le financement de la protection sociale.

    Taxer les entreprises selon leurs capacités

    Face à la crise du coronavirus, de nombreuses entreprises sont en difficulté, notamment les TPE et PME qui ne disposent pas d’une importante trésorerie. Mais ce n’est pas le cas de toutes les entreprises : certaines réalisent des profits substantiels en cette période : on peut penser notamment à Amazon et Netflix, dont les revenus s’envolent. Nous proposons d’instaurer une taxe exceptionnelle sur les profits des multinationales.
    Dans ce contexte, il faut aussi mettre fin à la baisse de l’impôt sur les sociétés prévue par le gouvernement. Cette baisse ne profitera qu’aux entreprises qui réaliseront un bénéfice. Elle aidera en priorité les multinationales qui seront ravies de pouvoir distribuer plus de dividendes à leurs actionnaires.
    Au moins 5 milliards d’euros représente une estimation prudente du rendement supplémentaire ainsi espéré.
    Enfin, l’objectif doit également être d’en finir avec les écarts d’imposition. En pratiquant massivement l’évasion fiscale, les multinationales supportent un taux d’impôt sur les sociétés réel bien plus faible que celui des PME.

    Lutter contre l’évasion fiscale

    Malgré les promesses du gouvernement de faire de la lutte contre l’évasion fiscale une priorité du quinquennat, on ne voit arriver aucune mesure efficace pour mettre fin à ce fléau. Il n’est plus acceptable que les plus riches et les multinationales, c’est-à-dire ceux qui peuvent le plus contribuer à l’impôt, y échappent par des pratiques légales ou illégales d’évasion fiscale. Ceci nécessite un renforcement des moyens juridiques et humain des administrations fiscales, douanières et judiciaires.
    Si toutes les mesures promises scandale après scandale ont échoué jusqu’à présent, c’est qu’elles ne s’attaquent pas à la racine du problème. Une taxation unitaire des multinationales pourrait couper l’herbe sous le pied aux fraudeurs et mettre un terme à la concurrence fiscale suicidaire entre les États. Cela consiste à taxer le bénéfice global des entreprises multinationales, en considérant celles-ci comme une entité unique, puis, dans une seconde étape, à répartir ce bénéfice dans les pays où ces entreprises réalisent effectivement leurs activités de production et de commercialisation. Cette mesure, qui empêcherait les multinationales de délocaliser artificiellement leurs profits dans des paradis fiscaux, pourrait être prise unilatéralement par la France si elle en avait la volonté politique.

    Supprimer les niches fiscales inutiles

    Dans ce contexte de crise, il est également temps d’interroger la pertinence des différentes niches fiscales et de supprimer celles qui s’avèrent inutiles, à commencer par le Crédit d’impôt recherche (CIR), une mesure inefficace et source bien connue d’évasion fiscale, et le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui n’a entraîné aucun impact significatif sur l’investissement ni sur l’emploi depuis son instauration en 2013. A titre d’exemple, un recentrage du CIR dégagerait à lui seul 2 à 3 milliards d’euros... La suppression ou l’aménagement de nombreuses niches fiscales pourrait dégager à court terme au moins 10 milliards d’euros.
    Il est également nécessaire de s’attaquer aux mesures fiscales qui maltraitent la planète et la population, et aggravent l’injustice fiscale :

    • supprimer les exonérations sur les énergies fossiles (11 milliards d’euros), qui avantagent les secteurs polluants tout en grévant le budget de l’État ;
    • supprimer les exonérations sur l’électricité (1,3 milliards d’euros), qui subventionnent les plus gros consommateurs d’électricité en France (industries, etc) au détriment de la sobriété énergétique ;
    • supprimer les exonérations de taxe carbone dont bénéficient les grandes entreprises (2 à 3 milliards d’euros) afin de s’assurer que les grandes entreprises paient autant de taxe carbone que les ménages.

    Taxer les transactions financières

    La taxation des transactions financières est la mesure qui a conduit à la création d’Attac, il y a plus de vingt ans. Elle s’est progressivement imposée dans les débats publics, notamment au moment de la crise financière de 2008. Ces dernières années, elle a fait l’objet d’un projet de coopération renforcée à l’échelle européenne. Mais ce projet a été saboté par Emmanuel Macron.
    Pourtant cette taxe présente un double avantage : elle permettrait non seulement de dégager des recettes supplémentaires mais aussi de lutter contre la spéculation sur les marchés financiers et ainsi de réduire le pouvoir de la finance. Il faut pour cela que cette taxe impose l’ensemble des transactions en incluant le trading à haute fréquence, pour un rendement annuel estimé à 4 milliards d’euros.

    En prenant ces différentes mesures, non seulement l’État dégagerait des dizaines de milliards d’euros nécessaires à la lutte contre les coronavirus et à l’indispensable révolution écologique et sociale, mais il permettrait de s’attaquer à l’injustice fiscale qui sape le consentement à l’impôt.

    Pour aller plus loin :

  • [Pétition] Plus jamais ça, signons pour le jour d’après

    Après la tribune « Plus jamais ça » publiée il y a quelques jours, sa déclinaison locale (via une pétition) est indispensable. Donc allez sur le site ci-dessous et faites circuler l’info autour de vous !

    ATTENTION : beaucoup de passage depuis ce matin et ça bloque un peu (à 16 h = 15 000 personnes avaient signé)

    https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/petition-plus-jamais-ca-signons-pour-le-jour-d-apres#form

     

    Plus jamais ça.jpg