Tribune. Pendant la crise sanitaire que nous traversons, nous entendons souvent parler de souveraineté alimentaire. Mais de quoi s’agit-il vraiment et comment se donner les moyens de la construire ? Cette expression est souvent utilisée de manière creuse par celles et ceux qui ont été ou sont nos décideurs politiques et qui n’ont jamais posé des actes permettant sa réalisation. Même l’industrie agroalimentaire et la grande distribution disent la défendre. Mais comment espérer qu’elles contribuent à la concrétiser alors qu’elles ont toujours préféré les marchés mondialisés, la mise en concurrence des paysan·ne·s, les exportations incontrôlées de produits à bas coûts, la fragilisation des agricultures locales… Ces acteurs comptent parmi les responsables de notre dépendance et de nos difficultés actuelles et, pour eux, la souveraineté alimentaire est tout d’abord la promesse d’un nouveau marché à conquérir.
Pour nous, la souveraineté alimentaire est beaucoup plus qu’une simple réponse au besoin de nourriture (1). Elle se pense et s’initie collectivement, en solidarité entre les peuples, et peut devenir l’une des bases sur lesquelles refonder notre démocratie. Elle incarne l’aspiration, la capacité et le droit des populations d’un territoire à décider de leur alimentation, et donc à déterminer le système alimentaire depuis les champs jusqu’à la table, sans nuire aux agricultures des autres.
La souveraineté alimentaire est une démocratie d’initiative qui écrit son propre destin alimentaire et agricole, en maîtrisant son lien au territoire, à la santé, à l’environnement, à l’emploi et au climat, avec la finalité claire de servir l’intérêt commun, en rendant accessible à toutes et tous une alimentation de qualité.
Faire face aux crises alimentaires
Pour écrire l’histoire d’une véritable souveraineté alimentaire et agricole ici et ailleurs, nous estimons qu’il est temps de reconnaître le rôle central des paysannes et des paysans. Ce sont elles et eux qui nous permettront de faire face collectivement aux crises alimentaires, climatiques et écologiques de nos territoires et de notre planète. Par leur savoir-faire, l’autonomie sur leurs fermes, le lien au sol et au vivant, ainsi que la résilience d’une polyculture-élevage diversifiée, du pastoralisme ou encore de l’agroforesterie et des systèmes herbagers, ils et elles produisent une alimentation de qualité et saine, qui permet une gestion des écosystèmes de notre planète adaptée à leur diversité et aux transformations du climat.
Le métier de paysan·ne constitue en outre une réponse importante à l’urgence sociale ! Avec des paysannes et des paysans nombreux, installés sur des fermes de petites dimensions, de nouvelles dynamiques rurales se dessinent, une économie locale s’organise à l’échelle de tout un territoire. Ce sont des milliers d’emplois paysans qui reviennent, et en génèrent d’autres, de qualité, dans la transformation agro-alimentaire et la distribution. Ce sont partout des initiatives collectives, solidaires et coopératives qui se recréent. Toute une vie qui reprend dans des pays jusqu’ici délaissés et oubliés, avec des services publics, des écoles, des hôpitaux, la culture… Maintenant, construisons l’après de l’alimentation !
Voilà pourquoi nous avons besoin de beaucoup plus de paysannes et de paysans. Nous en voulons un million demain, et certainement encore davantage après-demain. Pour arriver à cet objectif, nous exigeons que des décisions soient prises dès maintenant qui soient clairement en rupture avec la dictature économique des marchés que nous impose l’agro-industrie, et qui reconnaissent la valeur de l’agriculture paysanne et du métier de paysannes et de paysans. Nous avons besoin : de paysan·ne·s nombreux·ses qui dépendent d’une loi foncière qui préserve et répartisse les terres ; d’une politique d’installation massive ; d’une politique agricole commune qui soutienne les emplois plutôt que les hectares.
Relier dans la durée
De paysan·ne·s rémunéré·e·s dignement avec la mise en place d’une régulation des volumes et des marchés afin d’assurer des prix justes et stables, d’un arbitrage public des relations commerciales garant d’un droit au revenu des paysannes et paysans.
De paysan·ne·s protégé·e·s et reconnu·e·s avec l’arrêt immédiat de tous les accords de libre-échange; l’arrêt des soutiens à l’industrialisation de l’agriculture, l’apport de soutiens financiers importants à la transition agroécologique vers des fermes autonomes et économes, la mise en place d’une politique agricole et alimentaire commune afin de relier dans la durée paysan·ne·s et consommateur·trice·s.
Cette crise doit nous ouvrir les yeux sur l’importance du travail des paysannes et des paysans. Tout comme celle des métiers de l’éducation et de la santé, l’utilité publique du métier de paysan est une évidence qui s’impose. Ces métiers ont le pouvoir de structurer notre vie collective sur tous les territoires ; ils doivent être la base sur laquelle bâtir une société plus juste socialement et écologiquement: une société nouvelle.
(1) Le concept a été développé par La Via Campesina et porté au débat public à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation en 1996. Depuis son origine, il présente une alternative aux politiques néolibérales appliquées au secteur agricole. La souveraineté alimentaire désigne en effet le droit des populations, de leurs Etats ou unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans détruire celle des pays tiers.
Signataires : Nicolas Girod,porte-parole de la Confédération paysanne, l’association Abiosol,Khaled Gaiji, président des Amis de la terre France, Aurélie Trouvé,porte-parole d’Attac France, Sylvie Bukhari de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire, Fabrice Bouin, président Civam, Raphaël Bellanger et Virginie Raynal, co-président·e·s de la FADEAR, Alain Grandjean, président de la Fondation Nicolas-Hulot, Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, Évelyne Boulongne, porte-parole du Miramap, Marie Pochon,secrétaire générale de Notre Affaire à Tous, Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, Slow food France, Clotilde Bato, déléguée générale de SOL, Michel Vampouille, président de la Fédération nationale terre de liens, Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme, Éric Beynel,porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, Arnaud Schwartz, président de France nature environnement.