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  • Retraite des femmes : le mensonge comme seul argument

    Martine Billard, Danièle Bousquet, Marie Georges Buffet, Anny Poursinoff, députées, Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’ATTAC

    Sourd à l’hostilité de la population à la réforme des retraites, le gouvernement maintient son projet, en l’amendant de quelques mesurettes sur la pénibilité ou les carrières longues. Contre les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes, pourtant très importantes, rien n’est prévu. Eric Woerth en conteste même la réalité et tient des propos lénifiants sur l’évolution de la situation, en niant les conséquences particulièrement négatives qu’aurait son projet sur les femmes. Sur cette question, son discours se réduit à deux arguments, basés sur l’hypocrisie et le mensonge.

    Hypocrisie quand il répète que "la retraite n’a pas vocation à corriger l’ensemble des inégalités existant dans l’emploi". Certes, mais elle n’a surtout pas vocation à les amplifier. Or c’est le cas : la pension moyenne des femmes, tout compris, ne représente que 62 % de celle des hommes, alors que leur salaire moyen représente 80 % de celui des hommes. En outre, sans les dispositifs conjugaux et familiaux dont elles bénéficient, leur pension ne représente même pas la moitié (48 %) de celle des hommes. Ces dispositifs se révèlent donc indispensables, tout en restant insuffisants pour compenser les inégalités.

    Pourtant, le gouvernement n’hésite pas à affirmer, dans le dossier de présentation du projet de loi : "Les femmes bénéficient de nombreux dispositifs de solidarité au sein de nos régimes de retraite, qui (…) compensent efficacement l’impact des enfants". Permettre aux femmes d’atteindre 62 % de la pension des hommes, est-ce cela une compensation efficace ? C’est probablement au nom d’une telle conception que ces dispositifs ont déjà été réduits par la réforme de 2003 et en 2009, et qu’ils continuent d’être mis en cause… au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes ! Hypocrisie encore, lorsque le projet prévoit de sanctionner les entreprises pour… absence de plans pour l’égalité professionnelle, alors que c’est l’absence de résultats qui doit enfin être sanctionnée si on vise vraiment à l’efficacité.

    Publié sur Le Monde

  • Ces Pinçon qui font trembler l’Elysée…

    Vingt-cinq ans déjà qu'ils arpentent les beaux quartiers, fréquentent les châteaux et les hôtels particuliers, s'invitent à la table des grandes familles fortunées. Vingt-cinq ans qu'ils interrogent, auscultent, dissèquent l'organisation et les mœurs de la grande bourgeoisie française. Sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot forment un duo inséparable, dans la vie, depuis quarante ans, comme dans le travail. 

    Le Président des riches est leur seizième livre en commun, plus engagé que les précédents, fort d'une enquête minutieuse – des actes et des faits. Evitant soigneusement tout jargon, il met en cause « l'oligarchie » au pouvoir en France. Discrets, modestes, la voix douce mais déterminée, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dressent un portrait inquiétant de notre démocratie.

    D'où vous vient cette passion pour les riches ?

    Monique Pinçon-Charlot : Au CNRS, personne ne s'intéressait à eux. En sociologie urbaine notamment, tous les regards portaient sur les cités défavorisées, les jeunes des ghettos de banlieue. Dans les colloques, les séminaires, on parlait de « ségrégation », en mettant le ton, la tête penchée, les mines pleines de compassion. Tout cela m'agaçait au plus haut point, il me semblait qu'on avait tort de négliger le moteur de cette ségrégation. C'était en 1986. Michel et moi avions achevé nos travaux respectifs, nous avons décidé de partir ensemble pour les beaux quartiers. Et nous n'en sommes jamais sortis !
    Michel Pinçon :
     Nous voulions étudier la ségrégation du côté de ceux qui en profitent. Et ce que nous avons découvert, c'est plutôt l'agrégation des classes dominantes. A la différence des pauvres, les riches restent entre eux parce qu'ils le choisissent. Dans Les Ghettos du gotha, nous avons ainsi montré comment les familles fortunées défendent bec et ongles leurs espaces, nécessaires à la gestion de l'entre-soi. Ils se mobilisent pour préserver l'intégrité de leurs rues, de leurs quartiers, de leurs banlieues chic – pas de HLM à Neuilly ! –, de leurs lieux de vacances. Les propriétaires de vieilles maisons, de châteaux s'engagent ardemment dans la défense du patrimoine. Tous exercent un contrôle vigilant sur leurs institutions, leurs cercles et leurs clubs, où ils sont certains de ne se retrouver qu'entre eux. Et les familles veillent, à l'école en particulier, à ce que leurs enfants fréquentent le moins possible les jeunes d'autres milieux sociaux. La bourgeoisie s'affirme ainsi ouvertement comme classe consciente d'elle-même et de ses intérêts.

    “Au sommet de la société, il y a des gens qui cumulent  toutes les richesses, mais aussi tous les pouvoirs.”

    Que mettez-vous derrière ce terme de « bourgeoisie » ?
    M.P.-C. : 
    Au début, nous parlions de « classe dominante » pour définir des gens qui cumulent toutes les formes de richesses. Economique, évidemment, mais aussi culturelle : le monde des grandes fortunes, c'est le monde des collectionneurs et du marché de l'art ; richesse sociale : ses membres bénéficient de réseaux tout à fait extraordinaires ; et enfin symbolique : des noms de famille prestigieux, des adresses dorées, des codes, des manières, le langage et l'accent des « beaux quartiers ». Pour insister sur la logique de patrimoine et de transmission qui caractérise ce milieu, nous avons ensuite préféré parler d'« aristocratie de l'argent ». Pour être acceptées, cooptées par les plus anciennes, les nouvelles fortunes doivent en effet montrer patte blanche en constituant une lignée attachée à la transmission de ses privilèges. Le mariage princier de Delphine Arnault, en septembre 2005, avec l'héritier d'une dynastie industrielle italienne en est une belle illustration. En présence du gotha de la politique et des affaires, on assiste à un véritable anoblissement, laïc et républicain, de la famille du pdg du groupe LVMH.
    M.P. : 
    L'achat d'un château peut aussi conforter cette idée de lignée. François Pinault, fondateur du groupe PPR, a ainsi acquis, en bordure de la forêt de Rambouillet, le château de La Mormaire, qui date du XVIIe siècle.
    M.P.-C. :
     Aujourd'hui, concernant ce milieu, nous en sommes venus à parler d'oligarchie parce que le pouvoir, politique autant qu'économique, s'est resserré entre ses mains. Au sommet de la société, il y a aujourd'hui des gens qui cumulent non seulement toutes les richesses, mais aussi tous les pouvoirs. D'où le sous-titre de notre livre, Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy.

    En quoi consiste la force de cette oligarchie ?
    M.P. :
     En premier lieu, dans ses réseaux, ce qu'on appelle le « capital social », c'est-à-dire le système de relations qui unit ceux qui possèdent des positions de pouvoir dans différents espaces de la société. L'aristocratie de l'argent cultive ses réseaux, elle en hérite, elle les entretient, elle s'attache à les développer. Réceptions, vernissages, parties de golf, on passe beaucoup de temps en mondanités d'apparence futiles, mais en fait essentielles. Un verre au bar de son cercle permet de rencontrer tel ministre, tel conseiller du président, tel banquier, tel patron d'entreprise ou de médias. On parle, on devient intime, on s'épaule, on se soutient. Chacun multiplie son pouvoir par le pouvoir des autres, augmentant d'autant la puissance de l'ensemble. Nicolas Sarkozy, qui affiche sa « décomplexion » vis-à-vis du monde de l'argent, a permis le dévoilement de ces réseaux jusqu'ici plutôt discrets.
    M.P.-C. :
     La force de l'oligarchie aujourd'hui, c'est aussi cette connivence inusitée entre le monde politique et celui des affaires, inaugurée en fanfare dès l'élection de Nicolas Sarkozy, avec la fameuse nuit du Fouquet's, où étaient réunies toutes les composantes de la classe dominante, patrons du CAC 40, politiques et show-biz.
    M.P. :
     Il y a, dans ce dévoilement, une condition historique, celle d'un néocapitalisme financier triomphant qui a fait des traders les héros des temps modernes, même si la crise a, aujourd'hui, un peu calmé les ardeurs. Mais, en mai 2007, au moment de l'élection de Nicolas Sarkozy, l'air du temps est à l'argent, consécration « naturelle » du talent, du courage, de l'utilité sociale. Tant mieux pour ceux qui en gagnent et tant pis pour les autres. Le cynisme de l'enrichissement personnel était vraiment dominant et Nicolas Sarkozy s'est engouffré dans cette brèche.

    “Derrière la poudre aux yeux des discours tonitruants, Nicolas Sarkozy est clairement le président des riches.”

    Les relations entre le monde des affaires et de la politique ne sont toutefois pas nouvelles. Ambroise Roux, par exemple, lobbyiste infatigable de l'establishment financier, fut l'intime de Pompidou, l'ami de Balladur…
    M.P.-C. :
     La différence, c'est l'intensité et la visibilité de ces relations. Et la mobilité. On passe aujourd'hui sans vergogne des affaires privées aux affaires publiques, parfois même en gardant un pied de chaque côté. Prenez le conseil d'administration de LVMH, le groupe de Bernard Arnault. Il accueille Hubert Védrine, ancien ministre de François Mitterrand, qui peut y rencontrer Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d'Edouard Balladur. Quant à Patrick Ouart, conseiller de Bernard Arnault depuis 2004, il est parti à l'Elysée entre 2007 et 2009, avant de retrouver son poste au comité exécutif de LVMH. Cette oligarchie, qui ne connaît plus les frontières entre public et privé, est également incarnée par Henri Proglio, nommé à l'automne 2009 à la tête d'EDF, entreprise publique, alors qu'il était déjà président du conseil d'administration de Veolia Environnement, société privée de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
    M.P. :
     Il faudrait décorer le majordome qui a enregistré les conversations de Mme Bettencourt avec son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre. Il a vraiment fait œuvre utile en révélant les pratiques de cet univers social. Cette connivence entre pouvoir politique et puissances d'argent qu'illustrent si bien les relations entre M. de Maistre et Eric Woerth, alors ministre du Budget et trésorier de l'UMP.
    M.P.-C. :
     Le lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy, un peu sonnés par l'épisode du Fouquet's, nous avons décidé de tenir le journal de ses discours, de ses décisions, de ses actes : cela constitue aujourd'hui la matière de notre livre, complété par une série d'enquêtes. Ce que nous avons vu, c'est une politique cohérente et systématique en faveur de la classe dominante. Derrière la poudre aux yeux des discours tonitruants – genre « Les paradis fiscaux, c'est ter-mi-né » (toutes les entreprises du CAC 40 y ont encore des filiales) –, Nicolas Sarkozy est clairement le président des riches. 

    La suite de cet entretien dans Télérama de cette semaine (N°3166) : http://www.telerama.fr/livre/ces-pincon-qui-font-trembler-l-elysee,60212.php

  • Tout faire pour gagner : urgence absolue

    rubon1.jpgLa lutte contre la réforme des retraites est à un tournant. Le succès de la journée du 7 octobre rend la victoire possible dans la partie de bras de fer engagée entre ce gouvernement au service des privilégiés et le reste de la société.

    Le combat contre la réforme Woerth-Sarkoky rejoint le cœur de l’action d’Attac : la lutte contre la domination de la finance, mais pour le partage des richesses, et pour la démocratie. La mobilisation en France constitue aujourd’hui un maillon-clé de la riposte aux politiques d’attaques sociales et d’austérité menées partout en Europe, alors que se préparent en Espagne et en Grèce des grèves générales pour le 29 septembre. 
    Nous croyons qu’une mobilisation de grande ampleur peut faire reculer le gouvernement.
    Quel rôle actif peut jouer Attac dans une situation où l’épreuve de force devient nécessaire et inévitable ?
    La période actuelle de débat parlementaire nous permet d’occuper l’espace public avec nos explications et contre-propositions jusqu’à la nouvelle journée de grève interprofessionnelle du 23 septembre. Il s’agit de contribuer à ce que, quel que soit le vote de l’Assemblée nationale le 15 septembre, cette nouvelle journée d’action soit à la hauteur de l’enjeu. 
     Nous savons que de nombreux comités locaux ont déjà pris des initiatives, souvent au sein de collectifs unitaires. Le CA appelle à les multiplier, dans tous les lieux publics, gares, marchés, centres commerciaux, places centrales, devant les mairies, pour faire comprendre au plus grand nombre qu’une autre réforme, plus solidaire, est possible.

     Des actions sont déjà prévues pour préparer le 23, à l’initiative des syndicats ou du Collectif national : 
     le 15 septembre, des rassemblements partout en France le jour du vote en première lecture de la loi à l’Assemblée nationale ; 
     le 20 septembre, la distribution d’un tract du Collectif appelant à la manifestation du 23 septembre (disponible très prochainement sur le site du Collectif) ; 
     le week-end des 18 et 19 septembre doit également être un moment fort pour multiplier les actions.
    Un kit de "La roue des privilèges" (sketch monté à Paris par Attac lors de la manifestation du 7 et retransmis sur Là-bas si j’y suis le 10 septembre) est déjà disponible sur le site d’Attac.
    Il est important que les CL fassent part de leurs initiatives sur la liste Retraites d’Attac et signalent les actions des collectifs sur le site http://exigences-citoyennes-retrait... ( pavé à gauche de la page )

    La journée d’action du 23 septembre 2010 est cruciale dans la période actuelle. Elle doit dépasser l’ampleur du 7 pour apporter un nouveau camouflet au gouvernement. Attac doit contribuer à sa réussite.

    La victoire est possible. 
    Travailler plus pour gagner moins et rassurer les actionnaires et les spéculateurs ?
    Pour nous c’est non !

     Le Conseil d’administration d’Attac

  • Nous vivons plus qu’une convergence de crises,…

    … l’effondrement est déjà là »

    Par Agnès Rousseaux (13 septembre 2010)

    Crise après crise, le système capitaliste semble perdurer. Spéculation financière, dégâts environnementaux et inégalités mondiales repartent de plus belle. Et pourtant…

    Pour Geneviève Azam, économiste et co-présidente du conseil scientifique d’Attac, les illusions d’un monde aux ressources infinies et à la croissance illimitée sont tombées. Le modèle capitaliste n’est plus porteur de rêves. Un nouveau rapport au monde émerge, aux contours encore incertains. Réussira-t-il à opérer la transition vers un « postcapitalisme civilisé » ? Entretien avec l’auteure du livre « Le temps du monde fini ».

    Basta ! : La succession des crises – financière, sociale, écologique... – n’entraînent toujours pas de changements radicaux au sein du système capitaliste. Faut-il attendre son effondrement total pour que ce modèle soit remis en question ?

    L’effondrement est déjà là. Nous vivons plus qu’une crise, plus qu’une convergence des crises, mais l’imbrication de toutes les crises. Des émeutes de la faim viennent de nouveau d’éclater au Mozambique. Un tel événement est quasiment impensable dans nos sociétés ! Ces émeutes sont le résultat d’un modèle agricole productiviste et de la spéculation sur les produits agricoles, sur les terres, donc du système financier. C’est également une conséquence de la crise écologique, avec le réchauffement climatique, et de la crise énergétique, avec le développement des agrocarburants pour remplacer le pétrole. Chaque manifestation de l’effondrement que nous vivons combine toutes ces crises.

    Nous nous acharnons à repousser toute limite. C’est, selon vous, ce qui caractérise deux siècles d’histoire économique. Sentez-vous une prise de conscience de la rareté, voire de la finitude, de nos ressources et des limites intrinsèques à notre planète ?

    Si on fait l’hypothèse que le capital technique peut se substituer indéfiniment au capital naturel, il n’existe effectivement aucune limite. La pensée économique reste prisonnière de cette hypothèse, et de celle de la réversibilité du temps, du possible retour en arrière. La crise écologique montre au contraire que des phénomènes irréversibles, que des destructions définitives sont à l’œuvre. Depuis une vingtaine d’années, les mouvements sociaux ont pris conscience de ces limites. Une expertise citoyenne s’est peu à peu construite sur l’énergie, les semences ou le climat, démontant l’illusion que la technique pourrait remplacer ce qui est détruit.

    Les théories économiques oublient la nature. Quand elle est prise en compte, on parle « d’externalités ». On lui attribue un prix comme s’il existait une mesure commune entre nature et marchandises. Cela me gêne. Fixer un prix laisse penser qu’une compensation est possible, qu’il suffit de payer. Certaines dégradations sont irréversibles, et payer ne remplacera jamais les pertes. Parler d’externalités est aussi très révélateur, comme si c’était juste quelque chose de regrettable. C’est le processus lui-même qui doit être modifié et pas simplement ses effets « regrettables ».

    Ne risque-t-on pas de s’enfermer dans une gestion économique de la crise écologique, avec, par exemple, le « marché des droits à polluer » ou le principe pollueur-payeur ?

    Donner un prix à des pollutions traduit une prise de conscience. Il est logique que ceux qui abiment l’espace public pour des motifs de rentabilité privée soient redevables. Mais comment fixer ce prix ? Aujourd’hui, on nous répond : « par le marché ». Après le marché des droits à polluer pour le climat, la mise en place d’un marché de la biodiversité, avec des droits de compensation et des « mécanismes de développement vert », est à l’ordre du jour. Ce sera sur la table de la prochaine conférence sur la biodiversité au Japon, en octobre. Un tel « marché » induit la possibilité de détruire la biodiversité quelque part à condition de la remplacer ailleurs. Il se met déjà en place. La Caisse des dépôts a créé une filiale pour gérer ce genre de titres. On commercialise la nature dans ce qu’elle a de plus essentiel, le vivant et la biodiversité. Difficile d’aller plus loin.

    Quant au principe pollueur-payeur, je souhaite que BP paye pour tous les dégâts occasionnés aux États-Unis. Mais s’il existe des dégâts écologiques, il y a aussi des crimes écologiques. Quand, au nom de la rentabilité, on ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des installations, des personnes et de la biodiversité, c’est un crime contre l’humanité. Ce problème ne relève pas du champ économique, de compensations financières, mais du droit.

    Le temps du « monde fini » est aussi, selon vous, celui de la « perte d’un monde commun »... Qu’entendez-vous par là ?

    La gestion de la rareté se fait par l’augmentation de la concurrence, qui est de plus en plus féroce. Cela menace la possibilité de définir collectivement des règles, fondées sur la liberté et la justice, la possibilité d’un monde commun. La philosophe Hannah Arendt parle du triomphe de l’animal laborans. Le productivisme réduit les hommes « à des travailleurs dans une société sans travail ». On ne produit plus d’objets durables. Pour une grande majorité de personnes, le sens du travail consiste désormais à entretenir le rythme biologique, la consommation, la machine humaine. Le travail consume les êtres. Dès lors que les individus sont centrés sur la production de leur propre espace vital, de leur propre survie, le monde commun à l’autre tend à disparaître. La conception néo-libérale d’un être totalement tourné sur lui-même, auto-suffisant, narcissique, « libre », accélère ce processus.

    La suite de cet entretien de Geneviève Azam sur le site de Basta :

    http://www.bastamag.net/article1174.html

  • Aux Etats-Unis, du colza transgénique prend la clé des champs

    OGM.gifDeux millions d'hectares de colza transgénique sont cultivés aux Etats-Unis. Il était inévitable que des plants prennent la clé des champs, pour se propager hors des zones cultivées. Le phénomène avait déjà été étudié, en champs ou en parcelles expérimentales, en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie et en France.

    Il vient seulement d'être documenté aux Etats-Unis, mais il y apparaît particulièrement spectaculaire : 86 % des plants de colza collectés au bord des routes du Dakota du Nord par une équipe dirigée par Cynthia Sagers, de l'université de l'Arkansas, se sont révélés être porteurs d'au moins un gène conférant une capacité de résistance à un herbicide total.

    L'équipe, qui présentait ses résultats vendredi 6 août, a parcouru 5 400 kilomètres de routes, avec un arrêt tous les 8 kilomètres, pour examiner une bande de 50 mètres carrés sur les bas-côtés et y compter les plants de colza.

    "DOUBLE RÉSISTANCE"

    Deux de ces plants revenus à l'état "sauvage" portaient chacun deux gènes de protection contre le glyfosate (herbicide que l'on trouve dans le Roundup commercialisé par Monsanto), mais aussi contre le glufosinate, un herbicide produit notamment par Bayer.

    Or un tel colza "double résistance" n'existe pas dans le commerce. Cela signifie que des croisements dans la nature ont "inventé" un nouvel OGM.

    Ces découvertes, qui ne surprennent pas les spécialistes, ne sont pas de bonnes nouvelles. Le colza conventionnel disperse facilement ses graines et a tendance à faire des repousses, ce qui est un inconvénient pour la rotation des cultures – il est vrai moins pratiquée aux Etats-Unis qu'en Europe.

    "On peut alors considérer le colza lui-même comme une mauvaise herbe", note le biologiste Pierre-Henri Gouyon. Sa forme transgénique aurait plus de latitude encore pour coloniser d'autres territoires, surtout là où glyfosate et glufosinate tuent les plantes concurrentes.

    Mais il y a plus préoccupant : le colza peut s'hybrider naturellement avec une dizaine de mauvaises herbes présentes sur le sol américain. Il paraît inévitable que des croisements confèrent à ces indésirables une protection contre les herbicides. Ces considérations avaient conduit, en 2003, la Commission du génie biomoléculaire à donner un avis défavorable à la culture de colza transgénique en France.

    "La multiplication des formes de résistance aux herbicides, tant dans les champs cultivés qu'en dehors, va devenir problématique pour les agriculteurs, prévient Cynthia Sagers. Parce que le contrôle de ces mauvaises herbes demandera l'utilisation d'une combinaison d'herbicides."

    Hervé Morin, Le Monde du 10.08.10